Titre = Dix petits serpents, couplet 3
Auteur = Aélane
Jour/Thème = 9 juin/oubliettes
Fandom = Harry Potter (tomes 1 à 6)
Disclaimer = si j'avais sept ans, je jouerais juste avec leurs legos en me racontant des histoires ; étant bien plus vieille, j'écris des fics, mais le principe est le même et l'univers de HP appartient toujours à sa créatrice J.K. Rowling
Personnages = Grégory Goyle, Vincent Crabbe & autres Serpentard
Rating = PG
Participation au vote de fin de mois = Non.
Huit petits serpents
Sifflotaient gaiement
Dans le méchant vent.
L’un d’eux s’endormit,
Siffler tout le temps,
C’était fatigant ;
Sa vie il perdit.
Il se savait lent, un petit peu lent, pas tout à fait lent à la comprenette comme le marmonnaient jusqu'aux elfes-de-maison, le croyant apparemment aussi dépourvu d'oreilles que de cerveau. Il lui fallait juste du temps. Pourtant, être demeuré de la lune et jouer à chaque fois le serviteur des poupées de Pansy, ce n'était pas si grave, parce qu'après, il pouvait dévorer les friandises dès que la fillette passait à autre chose, oubliant la dînette étalée sur la table. C'était idiot de faire semblant. C'était Pansy, la vraie crétine, espérait-il très fort, sauf qu'à neuf ans, il n'avait toujours pas montré le moindre signe de magie et les lettres comme les chiffres se mélangeaient dans sa tête. Son père en entrait dans des colères terribles, battant les elfes-de-maison à mort, crachant sur les tableaux de la famille au moindre mot de travers comme décadence ou un tas de syllables trop compliquées, détruisant le mobilier que sa mère réparait en silence derrière lui.
La première fois que la main de son père avait fracassé le vase juste à côté de sa tête, il était resté pétrifié, droit comme les T qu'il venait d'échouer à recopier sur son parchemin : la prochaine gifle serait pour lui, elle allait le détruire puis sa mère reconstruirait un autre enfant, un meilleur petit garçon. Son père le regarda, brisa la chaise contre le mur, l'encrier, le vase, le secrétaire, jusqu'à ce qu'il ne restât plus que Grégory, recroquevillé au milieu de la pièce ravagée. Le lendemain, tout était redevenu normal, au point qu'il crut longtemps être le seul capable de s'en rappeler.
Il ne comprit pas tout de suite : il était né comme ça, ce n'était pas sa faute, comme sa mère le répétait, le sourire crispé, à chaque fois il bafouillait devant les visiteurs ou qu'il ânonnait en suant le titre du conte que Draco venait de lui offrir. Draco soupirait d'un air exaspéré, l'appelait crâne de moineau, lui arrachait le livre des mains pour le lire devant ses parents, tout fier. Il était lent, d'accord, mais, à force, il y arrivait, il voyait les choses, même si ses T ressemblaient toujours au tas de ronces au fond du jardin. Draco, en vérité, n'était pas du tout offusqué : son ami adorait lui arracher les livres des mains, tout heureux de lui raconter les histoires à voix haute, avec, soupçonnait-il, bien plus de dragons et d'aventures que ne le décrivait le tas de lettres qu'il détestait. Draco aimait aussi leur faire cours, à lui et Vincent, si bien que, souvent, Grégory prétendait avoir compris, rien que pour voir bondir son ami sur ses pieds, comme s'il venait d'inventer le Quidditch. Vincent ne comprenait vraiment pas par contre, il ne comprenait pourquoi ça lui faisait plaisir de mentir parfois ainsi. Vincent aimait qu'il soit lent comme lui, il se sentait moins seul. C'était plus facile de ne pas être tout seul.
Et son père... son père n'était pas fâché contre lui, sinon il l'aurait touché, battu, échangé contre un autre. Son père l'aimait, au fond, lui aussi, car son père était lent, lui aussi. Il avait entendu Monsieur Malefoy le clamer plusieurs fois avec un long reniflement, les croyant incapables de comprendre son mépris. Son père détruisait tout, parce que son père était terrifié. Son père avait peur pour lui. Son père avait voulu si fort qu'il soit un sorcier, un grand sorcier, plus puissant, pour faire mentir les propos des tableaux et le dédain des gens, pour redorer le blason familial, pour n'être plus à la merci ni au service de personne. Le dernier des Goyle n'était pas un cracmol toutefois et la lettre l'acceptant à Poudlard finit même un jour par arriver. Son père, fou de joie, en jeta ses craintes aux oubliettes. Grégory n'oublia rien.
C'est ainsi qu'il se retrouva dans la Maison Serpentard. Il savait bien que la vivacité d'esprit ne lui pousserait pas subitement en une nuit ni même en plusieurs années, mais il pourrait peut-être juste réussir à être un peu plus fort, un peu plus indépendant, aider ainsi son père, sa famille. Draco le soutiendrait, Vincent serait avec lui.
Il passa des examens compliqués, il apprit à jeter des sorts, tout seul. Il apprit à être fort, à écraser autrui avant qu'on ne persifle - Draco savait toujours qui moquait de lui ou d'eux, de sa famille, des Serpentard. C'était moins dur qu'il ne l'aurait cru. Quand le reste faisait défaut, cruellement défaut, il découvrit le pouvoir d'être plus grand, plus massif, plus costaud que tous les autres. C'était plus facile d'être lent, d'un seul coup.
Car il restait lent, il le savait. Il lui en fallut du temps pour saisir qu'être indépendant, fort et aider les siens pouvaient être à peu près aussi compatibles que les ingrédients de potions et sa cervelle. Sans l'enfer qu'avait traversé Draco au cours de sa sixième année, il n'aurait sans doute jamais commencé à envisager le problème. Sans les interrogations incessantes de Vincent, il n'aurait sûrement jamais commencé à envisager une solution.
Draco refusait de leur expliquer quoi que ce soit, Draco leur demandait des choses bizarres comme se déguiser en filles, Draco semblait de plus en plus terrifié, et Vincent n'osait jamais poser de questions à quelqu'un d'autre, de peur que tous le trouvent encore plus stupide de demander des choses évidentes, sauf que ce n'était pas évident du tout. Il avait voulu devenir plus fort pour protéger les siens, mais protéger les siens vous rendait faible, si faible que leur chef tenait à peine debout au bout de quelques mois. Il y réfléchit toute l'année. Ils n'étaient pas des Poufsouffle, ils n'avaient pas à être loyaux comme ça, jusqu'à se détruire, jusqu'à perdre tout ce qu'ils avaient gagné. Même si c'était ce qu'on attendait de lui, même si c'était leur raison d'être, est-ce que ses parents voudraient ça, vraiment, pour lui ? Son père en aurait détruit leur maison et aurait voulu que tout le monde oublie ensuite qu'il y avait même eu là une maison, oui, son père ferait ça. Monsieur Malefoy qui était si intelligent ne voudrait sûrement pas ça non plus pour son fils. Et son ami ne devait pas vouloir ça pour lui-même, n'est-ce pas ? Il essaya de lui parler, parce que c'était inquiétant comme perspective, Draco ne voulut rien entendre. Vincent en détruisit leur salle, beuglant que Draco aurait mieux fait d'oublier pourquoi il était entré à Serpentard, parce que c'était des bêtises tout ça, ce n'était pas être un vrai Serpentard tout ça. Il but ensuite la totalité de leur réserve de whisky pur-feu et le lendemain, tout redevint normal. Grégory n'oublia rien.
Il chercha. Il découvrit dans la planque à gâteaux, quelques jours plus tard, la lettre de Monsieur Crabbe informant son fils que prendre la Marque était un grand honneur, qu'il ne retournerait pas à Poudlard l'année prochaine, ce n'était pas la peine, qu'il pourrait commencer à servir les siens dès l'été. Après la mort de Dumbledore et la disparition de Draco, il comprit mieux : Vincent doutait ; pourtant, Vincent ne dirait jamais non à son père ni ne tournerait le dos aux siens, comme Draco. Mais, hésiter, lorsqu'on était au service du Seigneur des Ténèbres, autant signer son arrêt de mort. C'était trop tard pour Draco. Ce n'était peut-être pas trop tard pour Vincent. Il avait eu toute l'année pour réfléchir, il n'était pas si lent ! Il ne pouvait pas être si lent.
Lorsque sa mère lui envoya à son tour un hibou, il le tourna et le retourna dans ses mains, en se demandant s'il n'était pas trop tard pour lui, pour lui aussi. S'il ne la décachetait pas, il n'aurait pas à dire qu'il savait ce qu'on lui demandait. Il arriverait même à oublier que la lettre avait jamais existé. La technique réussit quelques jours, jusqu'à ce que s'il se mette à en rêver la nuit, rêver que ses parents l'appelaient à l'aide, rêver que les tableaux avaient raison, rêver que son père cette fois-ci le détruisait. Draco avait laissé des Potions-sans-rêves sous son lit, sauf que la cache était vide. Et Vincent n'avait jamais su mentir. Et Grégory était terrifié. Ils se battirent pour la première fois, cette nuit-là, se brisant le nez, les côtes, les doigts. La solution lui vint toute seule, alors qu'ils passaient toute la journée à l'infirmerie, la veille de l'enterrement de Dumbledore, s'ignorant l'un l'autre. La solution avait toujours été là. Il se maudit de ne pas avoir osé y songer plus tôt : il n'avait plus le temps de demander de l'aide à Millicent, d'avoir peur de rater son sort d'Oubliette, de reculer devant le prix à payer. Demain matin, ils partaient, demain on leur rendrait leurs baguettes. Il pourrait agir pendant le voyage. Son ami devait tout oublier, sa famille, ses obligations. Il pouvait le sauver.
Millicent les attendait tous les deux dans le dortoir, de pied ferme. Il soupira, guère d'humeur à entendre un nième discours sur leur idiotie et ouvrit de grands yeux lorsqu'elle tendit sa baguette à Vincent.
"Obliviate" rugit-il.
(refrain)
Baguette en bois, baguette en or, si je déçois, je suis mort.