22 mai - En fuite - Originale

May 22, 2008 23:38

- Tu veux te tuer ? Imbécile ! La vie est trop précieuse pour que tu joues avec.

C’est la première fois que l’on me gifle. Et pourtant, des coups, j’en ai reçu. Des coups de poing, de pied, de ceinture, mais une claque, ça jamais ! Et surtout pas une qui soit méritée.

Elle lâche mon bras et je le porte à mon visage. Elle n’y est pas allée de main morte ! Le seul truc qui me vient à l’esprit, c’est que dans sa colère, elle est passée du vouvoiement au tutoiement. Ça me fait bizarre, d’un coup, j’ai l’impression d’être important. Et cela me fait sourire.

Elle semble s’être calmée et me prend les mains. Elles sont glacées, je n’ai pas de gants.

- Mon Dieu, mais vous êtes gelé !

Elle semble réfléchir quelques secondes, puis ajoute :

- Entrez.

Quoi ? Elle m’invite chez elle ! Elle est vraiment timbrée, ou alors, elle se moque de moi. Non, vu son air, elle ne plaisante pas. Elle n’a peur de rien. Et si j’étais un voleur, un assassin ou pire un fou dangereux ?

- Bougez-vous un peu, sinon, vous allez finir enterré sous la neige !

Et elle me tend la main.

Pourquoi est-ce que je la prendrais ? Je n’ai besoin de personne, nul ne peut me comprendre, n’est-ce pas ? Que peut-elle faire pour m’aider ? Pleurer pour moi ? Je n’ai nul envie de sa pitié ! Téléphoner à l’assistance sociale ? Pour ce que cela va changer ! Et puis, de toute façon, je ne suis même pas sûr de vouloir continuer. Si je disparaissais, qui me regretterait ?

Pourtant, j’attrape sa main. Elle, elle me pleurerait sûrement.

Je la suis docilement et elle referme sa porte vitrée derrière moi. Je reste planté là, ne sachant pas trop que faire et en ayant l’impression de faire tache dans son salon. Elle disparaît derrière une porte puis réapparaît avec une serviette.

- Asseyez-vous, je ne mords pas !

Je la regarde et je ne sais toujours pas quoi faire. Qu’est-ce que je fiche ici ? Après tout, je ne lui ai rien demandé.

- Posez votre sac et donnez-moi votre veste, elle est trempée.

Tiens, c’est vrai, je ne l’avais pas remarqué. En entrant, toute la neige accumulée sur moi a fondu et j’ai laissé des flaques partout.

Je m’exécute et elle me tend sa serviette.

- Séchez-vous !

Je me frotte les cheveux et le cou, mais ça ne suffira pas. La neige s’est infiltrée un peu partout et je suis totalement mouillé. Je dépose la serviette et commence à grelotter. Un peu normal, lorsque l’on voit le blizzard extérieur et le thermomètre affichant moins quinze degrés !

Elle s’éclipse à nouveau et revient avec une couverture et des vêtements secs.

- Tenez, enfilez ça !

Je tends la main en hésitant. Ce ne sont pas ses affaires, sûrement à un ex. Ce n’est pas vraiment mon style, mais il faudra faire avec. Elle me sourit et je les prends.

J’enlève mon haut et je me rappelle trop tard pourquoi je me déshabille toujours seul.

Elle ouvre les yeux en grand et les cligne plusieurs fois. Elle s’avance prudemment vers moi, comme si j’allais m’enfuir. Mais ça, ça ne risque pas. Pour aller où ? Nul part, personne ne m’attend. Elle pose délicatement sa main sur mon torse et suit précautionneusement l’une des zébrures qui mutile mon corps, avec son doigt. Heureusement qu’elle n’a pas vu mon dos ! Mais elle me retourne brusquement, et reste longtemps à me fixer en retenant son souffle.

J’imagine déjà la suite : les questions, l’indignation, la pitié, les coups de téléphone à la police …

Pourtant, elle ne fait rien de tout cela.

- Ne bouge pas !

Tiens, elle est repassée au tutoiement. De toute façon, je me moque bien de ce qu’elle peut penser. Elle ne peut pas comprendre, elle n’est pas moi, elle ne vit pas ce que je vis.

Elle revient avec une trousse de premier secours et un tube de crème. C’est vrai que je n’ai pas eu le temps de me soigner.

Elle me pousse fermement sur son canapé et s’installe derrière moi. Pendant une heure, elle s’occupe, sans dire un mot, sans poser une seule question.

Cela fait longtemps que l’on n’a pas pris soin de moi, comme ça. Elle me rappelle ma mère, même si je n’ai qu’un seul souvenir précis d’elle. Le reste s’est plus ou moins effacé avec le temps.

Nous étions à la plage et en courant vers la mer, je suis tombé. Elle s’est précipitée vers moi et avait soigné mes blessures. Puis, elle m’avait soulevé et porté dans ses bras.

Elle sentait bon la vanille.

Je ne sais pas pourquoi, mais doucement, des larmes se mettent à couler sur mes joues. Je ne m’étais pas autorisé à le faire, ni à la mort de maman, ni lorsqu’il avait commencé à me frapper. Les hommes ne pleurent pas me répétait-il constamment.

Mais tous les barrages finissent par céder.

Je ne me retiens pas et les laisse couler. Elle me prend dans ses bras et me laisse me vider de toutes ces années refoulées, en me caressant doucement le dos. Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, mais finalement, mes larmes se tarissent. Elle me tend un mouchoir et j’essuie les sillons sur mes joues.

Soudain, un gargouillement rompt le silence. Elle se met à rire.

- Je crois que vous avez faim ! Venez, je vais vous préparer quelque chose.

- Non merci, ça ira très bien.

Ma voix n’est pas aussi sûre que je ne l’aurais souhaité. Elle est éraillée.

- Tiens, vous parlez ! Pendant un instant, j’ai cru que vous étiez muet.

- Peux-tu arrêter de me vouvoyer ? J’ai l’impression d’être un vieillard.

- Désolée, me répond-elle avec une petite moue.

- Je m’appelle Alix et toi ?

- Zoraya.

- Bon et bien, si tu me tutoies et m’appelles Alix, je ne serais pas contre un peu de nourriture.

Nous avons passé le reste de la nuit à discuter, en évitant soigneusement tout ce qui avait de près ou de loin un rapport avec ma famille.

Et puis, après cela, il y a eu une discussion houleuse sur qui dormirait où. J’ai refusé catégoriquement qu’elle dorme sur le canapé. Elle s’est opposée net à ce que je le fasse. Je n’ai pas l’habitude que l’on me contredise.

Finalement, nous sommes arrivés à un compromis : dormir dans le même lit.

Non, je ne suis pas fou et je n’ai pas peur qu’elle me saute dessus ! C’est plutôt elle qui devrait avoir peur, que je sois tenté de faire quelque chose. Mais en songeant à cette nuit, je refuse de tenter quoi que se soit et de tout mettre en l’air. Et puis, de toute façon, son lit est immense.

Le lendemain, je me réveille avant elle. Je ne sais pas comment, mais au cours de la nuit, nous avons migré vers le centre du lit et nous sommes enlacés. Je me détache doucement de son étreinte et m’habille sans un bruit. Avant de partir, je dépose un baiser sur son front.

Elle sent la vanille.

original, mai 08

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