« Carnivàle » fait partie de ces séries qui sont des calvaires à conseiller. Trop complexe pour être aisément résumée, trop décalée pour plaire au grand public, c’est par son étrangeté même qu’elle séduit et captive. De fait, je n’ai jamais réussi à « vendre » cette série jusqu’à aujourd’hui… Dès que je commence à en parler, les gens me regardent bizarrement et n’ont pas l’air de comprendre en quoi cette série est une merveille télévisuelle. Conclusion : ou mes goûts sont vraiment très bizarres ou j’en parle comme un pied. Mais je ne me découragerai pas et, à l’occasion de ce 15e jour de l’avent, j’ai l’honneur et le plaisir d’essayer de vous refourguer :
« Carnivàle »
(ou « La Caravane de l’Etrange » en VF)
Lumière et Ténèbres
« Avant le Commencement, après la grande guerre entre le Paradis et l'Enfer, Dieu créa la Terre et la donna au singe habile qu'il appela Homme. Et pour chaque génération naissaient une créature de lumière et une créature de l'ombre. De grandes armées rejouaient alors le conflit ancestral entre le bien et le mal. C'était une époque de magie, de noblesse et d'une cruauté inimaginable. Ainsi était le monde jusqu'au jour où un faux soleil explosa sur Trinity et où l'homme troqua à jamais l'émerveillement contre la raison. »
C’est sur cet intriguant monologue que débute « Carnivàle », une des séries les plus déstabilisantes et les plus fascinantes produites par la chaîne HBO (qui s’est faite pourtant une spécialité du genre). L’image suivante, nous sommes aux Etats-Unis dans les années 30, en plein dans la Grande Dépression. Au milieu d’un champ ravagé, près d’une petite cabane d’aspect minable, un jeune homme s’échine à creuser la terre trop dure pour enterrer le corps de sa mère décédée, tout en abreuvant d’injures l’ouvrier en tracteur qui menace d’écraser son misérable taudis. Un cirque ambulant passe et s’arrête pour observer la scène. Après s’être débarrassés de l’ouvrier récalcitrant et avoir aidé à terminer l’enterrement, les forains décident d’emmener le jeune Ben Hawkins - privé à présent de foyer comme de famille - avec eux. Qui sait, il se révélera peut-être utile sous ses airs de bouseux famélique ?
Voici Ben entraîné sur les routes et plongé dans l’univers haut en couleurs et fourmillant de bizarreries du cirque ambulant - femmes à barbe, hommes-crocodiles, tireuses de cartes et bien d’autres personnages tout aussi intrigants. Mais le plus mystérieux de tous est celui qui dirige cette troupe hétéroclite : un énigmatique personnage que l’on ne désigne que sous le nom de « la Direction » et dont personne dans la troupe n’a jamais vu le visage, si ce n’est le nain Samson, son bras droit, qui vient régulièrement lui rendre visite dans sa roulotte fermée à double tour. Et « la Direction » semble porter un immense intérêt à Ben et aux nombreux secrets que le jeune homme dissimule…
Au même moment à l’autre bout des Etats-Unis, le frère Justin Crowe, prêtre méthodiste d’une petite bourgade de Californie, se découvre d’effrayants pouvoirs. Convaincu d’être touché par le doigt de Dieu, celui-ci se lance dans une croisade personnelle pour agrandir son cercle de fidèles. Or un mystérieux lien semble lier le petit paysan et le prêtre californien : Justin hante les cauchemars de Ben et Ben apparait régulièrement dans les rêves de Justin. Tôt ou tard, ces deux-là seront amenés à se rencontrer et ce jour-là recommencera un affrontement millénaire : celui de la Lumière et des Ténèbres.
Mais quelle claque, m’sieurs dames, quelle claque !
Je ne le cacherai pas : je suis complétement gaga de cette série, non seulement une des plus belles vues en 2012, mais également de toutes celles que je connaisse. Décors sublimes, comédiens criants de vérité, BO ensorcelante, scénario ambitieux et impeccablement mené… Franchement que demander de plus ? Mais tentons d’être un peu plus constructif.
Servie par une photographie superbe, « Carnivàle » est avant tout une série d’atmosphère. Dès les premières images, nous sommes immergés dans l’Amérique de la Grande Dépression avec ses champs desséchés semblant s’étaler à l’infini sous un ciel éclatant, ses ouvriers en loques marchant le long des chemins de fer abandonnés, ses villes poussiéreuses à moitié désertées…
Dans cette réalité grisâtre, l’arrivée des forains fait l’effet d’une explosion de couleurs et de vie. Comme le dit Sofie, la jeune tireuse de cartes de la troupe : « Les gens dans les villes que nous traversons sont endormis, somnambules, nous les réveillons. » Et, en effet, quoi de plus fascinant et de plus inquiétant que l’univers du cirque, ce monde si particulier qui semble en permanence à la frontière du monde réel et de la magie ? Un monde où tout peut arriver, où des roulottes peuvent apparaître et disparaître mystérieusement, où les fantômes peuvent se mêler en toute impunité aux vivants, où la lumière semble plus éclatante et les ombres plus noires.
Quelques images pour le plaisir des yeux
Mais la série ne serait, bien entendu, rien sans ses personnages. Si l’histoire se centre prioritairement sur Ben et Justin, les deux personnages principaux et antagonistes, ils sont entourés d’un grand nombre d’autres protagonistes, tous aussi solidement plantés et attachants les uns que les autres (du moins pour la plupart, je ne toucherai certains autres qu’avec une perche de six mètres à la main). Personnellement, mon préféré est le nain Samson, le directeur adjoint de la troupe, à la fois bourru et généreux, et surtout totalement dévoué au troupeau d’hurluberlus qu’il a sous sa garde. Mais j’aime également Sofie, la voyante à l’esprit lourd de trop de secrets, Jonesy, le chef-manœuvrier au grand cœur, Ruthie, la charmeuse de serpent et… En fait, en y réfléchissant bien, je ne pense pas qu’il y ait des personnages que je n’aime pas dans cette série, ce qui est assez exceptionnel en soit.
Inutile de dire que tous les acteurs sont impeccables, même si je dois reconnaître être particulièrement impressionné par la performance de Clancy Brown incarnant le très inquiétant frère Justin. Cela faisait longtemps qu’un acteur n’avait pas réussi à me faire autant flipper à la télévision…
Foutu public…
Alors, tout est parfait dans le meilleur des mondes ? Ben non. Chaque série a ses défauts et si « Carnivàle » n’en a qu’un seul à mes yeux, il est hélas majeur : cette série se finit bien trop vite. Le créateur, Daniel Knauf, avait initialement prévu de diviser son histoire en trois actes, chacun durant deux saisons. Les audiences étant insuffisantes et la série coûtant les yeux de la tête, HBO a décidé d’annuler « Carnivàle » après seulement deux saisons, ce qui sera toujours un des péchés capitaux que je reprocherai à cette chaîne dont je suis pourtant une fan acharnée. Certains critiques américains jugeaient la série trop originale - mais, bon sang, comme peut-on reprocher à une série d’être « trop originale » ?
Ne vous y trompez pas : les deux saisons de « Carnivàle » se suffisent tout à fait à elles-mêmes et la fin est superbe, mais quand je pense au potentiel qu’avait cette série et à l’ambition qu’elle déployait, je ne peux m’empêcher de grincer des dents. On finit la série avec l’impression d’avoir vu le prologue de quelque chose d’énorme, tout en sachant que l’on ne découvrira jamais la suite… Pour une fois qu’un scénariste de série TV donnait l’impression de savoir vraiment où il menait sa barque. Sigh.
Mais ne boudons pas notre plaisir. Vous voulez de la magie ? Vous voulez du rêve ? Du cauchemar ? N’hésitez pas et montez dans la caravane ! Le voyage se terminera bien assez tôt.
Et pour finir, le très beau générique de la série
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