Titre : Du Désordre aux Enfers
Fandom : Bible/Mythologie chrétienne/Angel!verse de
modocanisPersonnages : Les Archanges, Lucifer, des démons, quelques anges et des Saint(e)s qui traînent...
Couples : Lucifer/Michael, Raphaël/Asmodée, Michael/Raphaël si vous regardez bien.
Disclaimer : Rien à moi !
Note : Eh non, vous ne rêvez pas ! Après pratiquement un an sans update, j'ai été bénie par l'inspiration et la motivation pour terminer ce chapitre qui s'est fait attendre. J'espère que la lecture de ce chapitre aura valu la peine d'attendre et j'espère ne pas mettre autant de temps pour le chapitre quatre ! Sur ce, bonne lecture ;)
Dans un bar de New York, les mortels profitaient de leur vendredi soir dans la joie et la bonne humeur. Certains regardaient un match de football à la télévision, assis près du comptoir avec une bouteille de bière à la main. D'autres savouraient en amoureux un verre d'alcool. D'autres profitaient dans le calme de cette ambiance décontractée de vendredi soir.
Aucun d'entre eux ne sentit la tension qui avait soudain grimpé entre les trois personnes assises près du comptoir, ni n'avaient remarqué le silence de mort qui s'était installé, pesant entre eux.
Avec la satisfaction secrète d'avoir réussi à surprendre les deux archanges, Lucifer savourait son bloody mary tout en se délectant de l'effet de ses paroles.
Plusieurs anges (au sens figuré) eurent le temps de passer avant que Michael ne retrouve sa voix :
- C'est l'idée la plus stupide que j'aie entendu, et je croise Gabriel tous les jours ! lâcha Michael.
- C'est cruel de parler de Gabriel de cette façon, il n'est pas stupide comme on pourrait le croire, lui répondit Lucifer, sans s'émouvoir.
- À d'autres oui ! Maintenant je te conseille de déguerpir avant que l'envie de te mettre à genoux devant moi et tous ces mortels ne me vienne.
- Michael voyons, tu n'as pas besoin d'utiliser la violence pour me faire mettre à genoux devant toi…
Raphaël toussota, soudainement mal à l'aise.
- … Si t'es encore là dans les deux secondes qui suivent, tu vas faire connaissance avec le parquet.
Lucifer le regarda avec un sourire inquiétant.
- Sans épée, ça risque d'être difficile, se contenta-t-il de répondre.
- Comment ça sans é -
Michael baissa le regard pour s'apercevoir que le fourreau était vide. Il releva la tête, incrédule, en direction de Lucifer qui lui offrit un sourire faussement innocent.
- C'est ça que tu cherches ? demanda-t-il en montrant l'épée enflammée, à moitié cachée par son imperméable.
- Comm -
- Tu devrais apprendre à mieux ménager ta colère Michael, elle perturbe ta concentration et te rend aveugle à ce qui t'entoure.
- Espèce de sale petit -
Les insultes de Michael furent si grossières que quelques personnes se retournèrent vers sa direction pour l'observer d'un air scandalisé ou admiratif.
Patient, Lucifer attendit que Michael eut épuisé son registre d'insultes avant de reprendre la parole :
- Voilà comment je vois les choses : vous acceptez mon offre et m'accompagnez bien sagement jusqu'à Pandémonium où nous discuterons des conditions de votre séjour en Enfer.
- Tu parais bien insistant à l'idée d'héberger deux archanges au sein de ton royaume, fit remarquer Raphaël.
- C'est même louche, qu'est-ce que tu trafiques ? renchérit Michael.
- J'ai mes raisons. Mais crois-moi, Michael, tu ne récupéreras pas ton épée à moins d'accepter mon offre. À toi de me dire si tu es prêt à prendre ce risque...
Il se leva, puis partit avec son butin sans jeter de dernier regard aux deux archanges, persuadé que ses anciens collègues allaient finir par le suivre. Raphaël et Michael échangèrent un regard.
- Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ? demanda Raphaël.
Michael fit reculer sa chaise dans un bruit sourd, dépité.
- Je vais te dire ce que je fais, lui dit-il en bouillonnant, je vais le suivre jusqu'en bas et écouter ce qu'il a à dire. Pas que ça m'enchante mais je n'ai pas le choix.
- Oh ? Tu comptes quand même accepter son offre ? lui demanda Raphaël en arquant un sourcil.
- Tu as une meilleure solution peut-être ?
- Sacrifier ton épée et attendre qu'on nous retrouve ?
- Aucun risque, je n'abandonne pas mon épée.
- Tu en trouveras bien une autre au Paradis…
- Non. Je ne laisserais pas à Lucifer ce plaisir. C'est mon épée et je vais la récupérer, quitte à endurer temporairement Lucifer et ses lubies.
- Toi et ton épée… soupira Raphaël.
Il finit tout de même par faire reculer sa chaise et se mettre debout, après avoir bu son verre cul sec.
- Ok, on y va !
- Tu n'es pas obligé de me suivre.
- C'est bon, je viens quand même. Je n'ai pas trop envie d'attendre longtemps sur Terre, et qui sait, peut-être que ce séjour en Enfer se révélera divertissant.
L'expression sur le visage de Michael semblait montrer qu'il pensait justement le contraire, mais il ne dit rien.
Sur cette conclusion, les deux anges se dirigèrent en direction de la sortie, où Lucifer les attendait à l'extérieur.
*
Bifrons n'avait beau être qu'un démon mineur, qui fut essentiellement chargé d'allumer les flambeaux sur les sépultures (ce qui n'était pas un travail démoniaque en soi, quand on y réfléchissait), il eut l'immense privilège d'être promu au rang de garde des portes de la forteresse entourant Pandémonium. Il était parfait pour ce job. Loin d'être sanguin, comme la plupart de ses collègues, c'était un démon calme et méticuleux, soucieux du travail bien fait.
Toujours, il gardait un visage de marbre. Garder les portes de Pandémonium, la capitale des Enfers, le fief du Diable en personne, n'était pas une mince affaire, et ce n'était certainement pas le genre de poste à confier à n'importe qui. C'est pourquoi Lucifer avait choisi Bifrons qui savait réagir calmement, sans une once de panique, et avec sang froid aux situations les plus extrêmes (et seul Lui là-haut savait qu'il y en avait régulièrement, des situations extrêmes. On pourrait croire, avec les rumeurs circulant autour des Archanges, que seuls les anges étaient indisciplinés. On avait cependant tendance à oublier que la plupart des démons occupant les Enfers avaient été des anges auparavant) et qui saurait gérer avec sang froid les portes de la forteresse avec ses entrées et ses sorties.
Ainsi, Bifrons était un démon imperturbable, la plupart du temps. C'était pourquoi il était comique de voir son visage se décomposer peu à peu, au fur et à mesure que Lucifer et ses invités s'approchaient des grandes portes. Visiblement, le spectacle de deux Archanges - dont un étant le Chef des Milices Célestes en personne - avait de quoi surprendre même le plus imperturbable des démons.
Il fallait dire que ce n'était pas tous les jours qu'un ange, qui plus est un Archange, foulait le sol impur des Enfers. La plupart des démons frissonnaient encore en se remémorant la dernière visite de l'Archange Gabriel.
Si l'expression sur le visage de Bifrons se voulait indescriptible, les pensées et émotions se bousculaient dans sa tête cornue.
- Bifrons, le salua Lucifer de l'air d'un politicien malhonnête se voulant bienveillant pour remporter des voix.
- Votre Bassesse, répondit Bifrons automatiquement.
Il ne put s'empêcher de jeter un œil en direction des deux Archanges, et se sentit nerveux face à l'expression peu engageante de Michael, s'attendant presque à se faire attaquer.
- … J'aimerais entrer…, s'éleva la voix de Lucifer après un temps d'attente.
Bifrons se réveilla de sa transe, et détourna rapidement son regard de Michael, comme s'il venait d'être brûlé, et alla ouvrir les massives portes en bronze de la forteresse de Pandémonium.
*
Uriel fit les cent pas devant les grilles dorées du Paradis, attendant quelqu'un. Un peu plus loin, il avait recouvert d'un drap blanc les ruines de ce qui avait été la machine d'accueil, comme on recouvre un cadavre à la morgue. Uriel observa sa montre, ajusta d'un geste nerveux ses lunettes, puis refit les cent pas tout en jetant des coups d’œil irrité dans plusieurs directions, cherchant des personnes qui tardaient à venir. Puis il s'arrêta, lança un appel dans le petit micro attaché au bord de sa chemise. Puis il refit les cent pas, restant plusieurs minutes dans le calme.
Au bout d'un moment, n'y tenant plus, Uriel reprit le micro, excédé :
- Les Principautés Ieiazel et Nithaël sont priés de -
- Monseigneur Uriel ? l’interpella une voix derrière lui en lui tapotant l'épaule.
Uriel fut si surpris de cette venue soudaine qu'il lâcha un petit cri avec une voix si aigu qu'il ignorait qu'elle pouvait aller jusque dans ces tons.
Il se retourna, gêné, et tenta de reprendre une posture digne et sérieuse.
Les Puissances Ieiazel et Nithaël l'observaient avec un air indescriptible.
- Vous voilà enfin ! Je vous ai convoqué ici car j'ai cru comprendre que vous faîtes partis des gardes surveillant les grilles du Paradis les lundi, mercredi et les vendredi ?
- Oui Monseigneur, répondirent en cœur les deux Principautés.
- Bon, je vous résume la situation : hier a eu lieu, ou devait avoir lieu une réunion des Archanges. Réunion à laquelle ni Michael ni Raphaël n'ont assisté…
- Si je peux me permettre, Monseigneur Uriel, intervint Ieiazel, n'est-ce pas une chose qui se produit assez régulièrement pour que ce ne soit pas surprenant ?
Nithaël lui donna un coup de coude au niveau des côtes. Uriel leur lança un regard mauvais, irrité d'avoir été interrompu.
- Le fait est, reprit-il avec un ton plus sévère, que j'ai envoyé Raphaël rechercher Michael sur Terre. Ne le voyant pas revenir, je me suis décidé à le contacter sur son téléphone portable…
Ieiazel voulut demander si, cette fois-ci, il avait réussi à s'en servir sans l'aide de quiconque mais un regard de Nithaël le convainquit de garder cette réflexion pour lui-même. Monseigneur Uriel était, après tout, assez irrité comme ça. L'archange discutait en faisant les cent pas, comme un fauve nerveux.
- J'ai retrouvé le téléphone sans son propriétaire. Ce qui est, avouons-le, assez alarmant puisque Raphaël ne se sépare jamais de son téléphone. Je décide de mener ma petite enquête…
Il s'arrêta brusquement, puis retira, de façon théâtrale, le drap qui recouvrait la masse qui se révéla être ce qui restait de la machine d'accueil.
- Et voilà sur quoi je tombe ! La machine, en mille morceaux ! Je suis prêt à parier que c'était Michael, volcanique comme il est…
- Il y a été fort, le bougre ! fit Ieiazel avec un sifflotement admiratif.
Uriel le contempla avec un regard critique.
- Ce que je voudrais savoir, c'est où vous étiez pendant ce temps-là, sachant que c'était votre heure de permanence.
Ieiazel se sentit soudainement tout petit.
- J'ai été appelé en urgence au poste n°1, répondit-il avec une faible voix. Il y a eu un problème avec la machine remplaçant Saint Pierre. Elle conseillait aux nouveaux défunts de se rendre soit en Enfer, soit au Pays Imaginaire. J'ai eu un paquet de défunts confus sinon traumatisés sur les bras… J'ai du consoler un prêtre qui pleurait sur mon épaule parce que la machine lui avait conseillé les Enfers.
- Vous avez laissé ce poste sans surveillance ? demanda Uriel, les yeux légèrement écarquillés, l'air scandalisé.
- Oh non, faut tout de même pas exagérer… J'ai bipé Nithaël pour qu'il vienne me remplacer.
Nithaël eut alors des frissons lui parcourir l'échine alors qu'il observait Uriel tourner lentement, très lentement la tête en sa direction, ses yeux lançant des éclairs menaçants, à la façon d'un film d'horreur. Ce qui était perturbant en soi.
- Vu l'état de la machine, j'imagine que vous n'étiez pas là, constata Uriel, le ton du reproche évident dans la voix.
- C'est que… j'étais au gymnaz club toute l'après-midi, avoua Nithaël avec une petite voix coupable.
- Ah bah bravo, railla Ieiazel, on te demande de surveiller l'entrée principale, au cas-où il y a un pépin avec la machine, et monsieur va au gymnaz club.
- Tu m'as dit que mon fessier se relâchait ! reprocha Nithaël.
- Je te charriais, imbécile. On est des anges, on a pas de cellulites et tout ce qui va avec.
- Que tu dis ! Mais l'autre jour, j'ai bien remarqué dans le miroir que -
Uriel poussa un long soupir. Cette journée allait être longue.
*
Pendant le temps entre l'entrée dans Pandémonium et l'arrivée au palais, Lucifer se conduisit comme le parfait guide touristique envers ses invités, présentant avec charme et courtoisie les structures et paysages qui formaient sa capitale, souligna l'architecture des bâtiments jusqu'au moindre détail à en faire pâlir de jalousie un professeur d'histoire de l'art, et leur présenta même quelques démons de haut rang qui, une fois le choc passé, répondirent avec un manque d'assurance inquiétant aux salutations de Lucifer.
Ce que Lucifer décrivait comme étant des œuvres exceptionnelles d'architecture se révéla cependant être un vrai cauchemar architectural gothique où les angles n'étaient pas droits, et avec un surnombre inquiétant de statues toutes les plus grotesques les unes que les autres. Dominant les autres structures, le palais de Lucifer se tenait avec ses hautes tours pointues.
Au fur et à mesure qu'ils se rapprochèrent du palais, ils croisèrent de plus en plus de démons de haut rang. Plusieurs d'entre eux se retournèrent sur leur passage, et Raphaël n'avait aucun de mal à comprendre pourquoi. Deux archanges en plein cœur de Pandémonium ? Ce n'était pas quelque chose qu'ils pouvaient voir tous les jours…
Et puis, songea Raphaël, ils devaient à peine se remettre de la visite de Gabriel s'il devait en juger de la présence des miradors postés près de l'entrée de la capitale, et que Raphaël n'avait jamais remarqué lors de sa dernière visite en Enfer.
Un bruit de verre cassé retentit. Un démon aux cheveux noirs, aux yeux perçants et dont la tenue (ou le peu de tenue) ne laissait aucune place à l'imagination, fixa les anges, et en particulier Raphaël, avec de grands yeux, comme s'il n'avait jamais vu d'ange de sa vie. Puis, il se reprit et détourna le regard en rougissant furieusement.
Lucifer ne lui prêta aucune attention et, d'un geste théâtral, demanda aux gardes d'ouvrir les immenses portes du palais.
Les portes s'ouvrirent lentement, difficilement sous le bruit sourd de trompettes annonçant le retour de Lucifer.
- Pff, toujours en train de se la péter, marmonnait Michael dans sa barbe.
Ils franchirent l'immense entrée et furent accueillis par un petit diable possédant des ailes, des piques au niveau du dos et des épaules et des sabots en guise de pieds.
- Ah ! Vot' Bassesse, vous êtes de retour !
- Crapoulet, salua Lucifer. Rien de nouveau en mon absence ?
Crapoulet était un démon flegmatique qui officiait autrefois dans le Cercle de la Paresse mais qui avait été il y a peu promu par Lucifer qui appréciait son manque d'étiquette, ce qui le changeait beaucoup de tous ces démons de haut rang que Lucifer qualifiait de « lèche-cul ». Il gardait cependant son penchant pour le flegme ainsi Lucifer se contentait de lui demander de servir l'apéro de temps en temps et de veiller sur son palais en son absence.
- Rien qui ne vaille votre intérêt, patron ! Astaroth et Belzébuth se sont encore crêpé le chignon, on a quec' z'âmes dans le secteur des arrivées mais rien d'bien intéressant, et une cagnotte « Qui Veut Déclencher une Guerre » qui a été mise en place.
- Qu'est-ce que c'est que ça encore ?
- Bah, c'est simple : à chaque n'velle tension entre deux pays, les démons parient et celui qu'a parié le plus gros gagnera si une guerre finit par être déclarée. Les États-Unis et la Corée du Nord font fureur en ce moment.
- Hum… Intéressant, mais peut mieux faire, commenta Lucifer d'un ton absent.
Michael finit par se racler bruyamment la gorge. Il détestait l'avouer, mais il avait horreur lorsque l'attention de Lucifer était portée sur un autre que lui. Plus que tout, il ne supportait pas d'avoir été obligé de descendre jusqu'en Enfer pour entendre Lucifer papoter avec le petit personnel alors que c'était lui qui l'avait fait chanter pour venir en bas. Mais où allait le monde ?
- Oh excuse-moi Michael. Le travail, tu sais ce que c'est, lui répondit Lucifer avec un sourire indulgent. Une partie de Michael soupçonnait qu'il s'amusait de la situation.
- Je vois que vous êtes… en charmante compagnie, fit remarquer Crapoulet avec un air impressionné sur le visage.
- Oui, d'ailleurs tu voudras bien leur servir un verre ? Nos invités vont rester un long moment chez nous, je voudrais qu'ils se sentent à leur aise.
Michael n'aima pas la façon dont Lucifer avait dit « long ».
- J'vous prépare ça vot' Bassesse !
Alors que Crapoulet s'éloigna préparer l'apéro, Lucifer conduisit les deux archanges dans un grand salon qui contrastait avec l'architecture gothique des lieux. Le salon possédait ainsi tout ce qui se faisait de moderne et à la pointe de la technologie, entre un grand écran de télévision et une immense chaîne Hi-Fi, qu'il cachait à ses sujets. Tout ce qui faisait partie de la technologie en enfer était de mauvaise qualité, c'était connu, autrement la vie serait un peu moins infernale et ce n'était pas comme ça que Lucifer allait faire tourner le business. Ce qu'il n'avait pas dit à ses sujets, c'est que la règle ne s'appliquait pas à lui. Il y avait, après tout, des avantages à être le patron…
- Faîtes comme chez vous, leur proposa Lucifer en montrant les fauteuils et le canapé en cuir noir d'un geste de la main.
- Arrête avec le numéro de politicien malhonnête qui essaye d'être agréable, et dis-nous précisément ce que tu attends de nous pour que je puisse récupérer mon épée et quitter ce fichu endroit ! s'exclama Michael dont le ton traduisait un agacement naissant.
- Quelle agressivité Michael… Mais bon, cela fait parti de ton charme, répondit Lucifer en lui adressant un clin d’œil.
- Je ne suis pas là pour plaisanter, répondit Michael.
Ses yeux fixés sur Lucifer remarquèrent à peine l'arrivée de Crapoulet avec un plateau contenant trois verres. Raphaël, qui nourrissait secrètement une nostalgie pour les cocktails de Lucifer, ne se fit pas prier pour se servir. On pouvait dire ce qu'on voulait du diable, il savait faire des cocktails d'enfer.
- Mais moi non plus… Prends ton verre s'il-te-plaît.
- … Il est empoisonné ? demanda suspicieusement Michael en tenant son verre comme s'il allait le mordre.
- Michael voyons… Je ne me servirais pas d'une chose aussi banale que le poison pour venir à bout de toi. Pense à ma réputation. Pense à notre public qui s'attend à un affrontement final épique où notre sueur se mêlera au sang que nous avons versé. Je ne veux pas les décevoir.
- On peut en revenir au sujet principal ? interrompit Raphaël qui se disait que s'il était descendu en Enfer, ce n'était certainement pas pour faire la cinquième roue du carrosse.
- C'est très simple : vous êtes temporairement en manque de logement, et je vous offre l'hospitalité dans ma demeure.
- Ça ne peut pas être aussi simple que ça, espèce de serpent. Tu as une idée derrière la tête ! feula Michael.
- Cela se pourrait, répondit Lucifer d'un ton taquin. Malgré tous les efforts d'Uriel pour dissimuler à nous, gens d'ici bas, ce que vous faîtes, des bruits courent… Des rumeurs… intéressantes sur vos agissements sur Terre comme au Paradis. Vous vous êtes fait une réputation, tous les deux !
- Explique, se contenta de répondre Michael qui sentait venir la migraine et qui n'avait pas envie de se perdre en paroles.
- Tu ne le savais donc pas ? Les Archanges Michael et Raphaël, que l'on dit pas si angéliques que ça. Un ange psychopathe régulièrement couvert de sang et un ange flegmatique et sarcastique qui se fichent des lois du Paradis pour agir comme bon leur semble. Je n'en suis pas étonné. Votre petite visite dans mon royaume à Halloween le montre bien. Et puis, qu'y-a-t-il eu d'autre encore ? Voyons… New York recouvert entièrement de mousse, Toulouse changée en rose, un énorme crucifix tombant du ciel et s'effondrant accidentellement sur le PGD de Windows, des écclésiastiques du Vatican souffrant de lésions cérabrales à force d'être "mystérieusement" attaqués tous les dimanches par des balles de golf... ou encore cette étrange histoire de baleine solitaire qui a déclenché des inondations monstres au Paradis ? Cela paraît trop gros pour être accidentel… Vous n'allez pas nier votre implication dans ces histoires ?
- Il n'y avait pas que nous, Gabriel a aussi joué un rôle dans la plupart de ces histoires ! offrit Raphaël comme excuse.
Michael se retourna lentement en sa direction et lui lança un regard qui semblait dire : « Et c'est tout ce que tu trouves à dire ? ». Raphaël haussa les épaules en guise de réponse.
- Ce qui m'étonne, c'est qu'Uriel ait encore toutes ses plumes, constata Lucifer avec un ton moqueur.
Le sourire de Lucifer était loin d'être catholique alors qu'il observait avec une lueur inquiétante les deux archanges.
- … Et qu'est-ce que ça peut te faire ? répondit Michael, exaspéré. Vous ne vous gênez pas non plus pour semer le chaos aussi bien sur terre que chez vous, alors tes leçons de morale tu les mets où je pense.
- Voyons Michael, c'est normal pour nous autres, démons. Tu avoueras que ça l'est moins venant de créatures supposées être parfaites et devant répandre le bien partout où elles passent, vêtues de toge blanche et jouant de la harpe.
- J'ai toujours détesté cet instrument…, marmonna Raphaël pour lui-même en reprenant une gorgée de son cocktail.
Michael, qui avait l'habitude de se trimbaler Raphaël régulièrement, ne prêta aucune attention à sa remarque et focalisa son énervement sur Lucifer.
- Abrège. Tu veux en venir où ?
- Tu te rappelles aussi bien que moi de toutes ces fois où je t'ai proposé de me rejoindre ?
- Et où je te rembarrais à chaque fois, répondit Michael.
C'étaient des bons moments. Surtout sur la partie où il refusait, il utilisait souvent son épée, ou ses poings contre Lucifer. Des moments très jouissifs. Michael avait bien envie de recommencer, là...
- … et où tu me rembarrais à chaque fois, lui accorda Lucifer. Ma porte t'a toujours été ouverte, même si tu n'as jamais daigné me rendre visite. Ainsi pourquoi tu ne profiterais pas de mon humble demeure le temps que la situation en haut s'arrange pour toi et Raphaël ? Vous aurez chacun votre propre chambre et serez libre de vous promener et faire vos propres loisirs…
- On ne va pas chuter ou être tenté de rejoindre tes rangs juste parce qu'on va devoir crécher chez toi ! répliqua Michael.
Le sourire de Lucifer laissa dévoiler des dents blanches mais aussi tranchantes que des rasoirs.
- Qui sait ce que l'avenir nous réserve… Peut-être que toi et Raphaël vous sentirez comme chez vous ici. Je serais curieux de voir ce que ce séjour amènera. Pas toi ?
L'expression sur le visage de Michael laissa supposer qu'il ne l'était pas. Loin de là.
Raphaël, qui avait été silencieux jusque là, reprit la parole :
- Est-ce qu'il y a… des règles à suivre ici ? demanda-t-il d'un ton curieux.
Ce n'était pas que Raphaël se souciait des règles, à vrai dire il n'avait jamais pris la peine de connaître celles du Paradis. C'était un pavé beaucoup trop long à lire que Raphaël préférait utiliser pour banquer sa table de chambre. Il était cependant curieux de savoir si un lieu aussi chaotique et démoniaque que l'Enfer pouvait avoir son propre règlement.
- En Enfer, il n'y a qu'une règle à suivre : n'embêtez pas votre compatriote et celui-ci ne vous embêtera pas en retour, les conséquences risqueraient d'être sanglantes autrement… Cet endroit est déjà assez chaotique, je ne veux pas avoir à repasser par derrière nettoyer les dégâts. Les restaurations coûtent cher et le sang est difficile à partir. Bien entendu, il va de soit que, le temps de votre séjour, je demanderais à mes loyaux sujets de ne pas vous attaquer.
Michael laissa échapper un son méprisant, traduisant tout ce qu'il pouvait penser des « loyaux sujets » en question.
- Bien-sûr, l'inverse s'applique également Michael, ajouta Lucifer avec un ton taquin.
Michael, intérieurement dépité, marmonna dans sa barbe :
- Nom de Lui…
Puis il prit son verre et avala son contenu cul sec.
*
Plusieurs heures après la découverte d'Uriel de la machine, ou de ce qui en restait, les anges Ieiazel et Nithaël revinrent de leur mission de recherche, complètement bredouille. Ils allaient se changer les idées, fatigués après avoir retourné littéralement la Terre, au salon de thé le plus proche lorsqu'Uriel se dressa sur leur chemin. Le visage irrité laissa penser qu'il ne s'était pas calmé depuis, si bien que lorsqu'il fut rejoint par un autre ange, Eyaël, qui se fit rembarrer d'un sec "Pas maintenant !" lorsqu'il avait tenté de prendre la parole.
Uriel dévisagea Ieiazel et Nithaël d'un œil critique.
- Inutile de vous demander comment ça s'est passé !
- Sans vouloir être malpoli, Monseigneur Uriel, intervint Ieiazel, chercher une aiguille dans une botte de foin serait plus facile que de trouver les archanges Michael et Raphaël !
- Et rapide, renchérit son collègue.
Uriel poussa un long soupir, bien qu'au fond de lui, il n'était pas surpris.
- Rien ! Absolument rien ! J'ai envoyé des anges vérifier partout, et aucun signe d'eux ! Ni au Paradis, ni sur Terre ni même au Purgatoire ! Mais où est-ce qu'ils peuvent être, je vous le demande !! Je suppose que vous n'avez aucune idée sur la question ?
- On a pas pensé à vérifier en Enfer, proposa Eyaël qui avait gardé le silence jusqu'à cet instant, ils y sont peut-être.
Un silence de mort s’abattit, qui ne fut troublé que par le son d'un carillon suivit par la voix du Saint Esprit qui résonna dans tout le Paradis :
- Votre attention s'il-vous-plaît, une auréole immatriculée CHER. 24601 a été retrouvée dans le jardin d’Éden. Le propriétaire est prié d'aller la chercher le plus tôt possible au bureau des objets trouvés. Je répète, une auréole immatriculée CHER. 24601 au bureau des objets trouvés. Merci de votre attention.
De nouveau, le silence. Uriel fixait Eyaël avec un regard indescriptible, sous ses lunettes. Eyaël eut un petit rire nerveux, qui mourut bien vite sous le regard pesant d'Uriel.
Il se sentit soudainement très seul.
- Michael et Raphaël en Enfer ! Bien-sûr ! Et pourquoi pas même en plein cœur de Pandémonium dans le palais de Lucifer à siroter des cocktails ! Vous avez de ces idées, Principauté Eyaël.
- Ah mais… c'est que…
- Il suffit ! Je n'ai pas besoin d'en entendre d'avantage. Revenez me voir quand vous aurez des idées plus réalistes.
Eyaël s'éloigna, non sans marmonner dans sa barbe pour la forme.
- Il nous demande de deviner, je devine ! Toujours à critiquer, ces supérieurs…
*
Tous les jours, les démons qui peuplaient les Enfers voyaient défiler des centaines de cas et de situations tous les plus variés et loufoques les uns que les autres sans que cela parvienne à les émouvoir. Il y avait cependant quelques rares cas exceptionnels qui parvenaient à les surprendre, comme la présence d'un Saint complètement à bout qui avait récemment choisi les Enfers comme lieu de vacances, ou encore leurs derniers invités en date.
Des anges, ce n'était pas la première fois que les démons présents croisaient. Ce n'étaient pas les emplumés qui manquaient dans l'univers, malheureusement pour eux. Ce n'était pas non plus la première fois qu'ils avaient vu un Archange mais jamais jusqu'à présent ils n'avaient vu d'invité angélique sur le sol impur des Enfers.
Un silence de mort - bien que entrecoupé par les cris des damnés - s'était installé suite à la déclaration de Belzébuth, prince des Enfers et véritable incarnation du diable hideux et grotesque.
Finalement, Astaroth, Grand Duc démoniaque hautain qui aimait entretenir l’ambiguïté concernant son sexe, prit la parole :
- Deux archanges ici ? répéta Astaroth d'un ton dubitatif en arquant un sourcil. Tu es sûr que tu n'as pas encore sniffé cette immonde poudre de ta confection ?
- Je sais ce que j'ai vu ! répliqua Belzébuth d'un ton agacé. J'ai compris qu'il y avait un truc de louche quand je suis rentré dans Pandémonium ! Mes mouches volent bizarrement, elles ne sont pas du tout synchronisées !
- Ah pardon, j'avais oublié que tes mouches étaient un indicatif de la météo et de la situation à Pandémonium, lança Astaroth dont le sarcasme dans la voix ne laissait aucun doute sur la véracité des propos de son collègue.
- Ce n'est pas tout ! se défendit Belzébuth qui lança à son voisin un regard irrité. J'ai croisé Asmodée sur le chemin qui avait l'air tout retourné ! Il avait un air bizarre, et il a toujours un air bizarre quand il revient d'une rencontre avec l'Archange Raphaël !
- Asmodée ne compte pas, ce n'est pas une source fiable ! Tu es sûr qu'il ne l'a pas imaginé plutôt ? À force de nous casser les oreilles sur l'Archange, ça ne m'étonnerait pas qu'il ait halluciné… Je ne dirais jamais ça à propos d'un collègue, mais il faudra qu'il consulte s'il continue…
- Je les ai vu, espèce d'emmerdeur… deuse… 'fin bref. J'ai vu les emplumés entrer dans le palais en compagnie du patron !
- Les Archanges Michael et Raphaël, avec le patron ? répéta Astaroth comme s'il avait du mal à digérer la nouvelle.
- Misère, qu'est-ce qu'il a encore inventé…, se plaignit Adramelech, l'intendant de la garde-robe de Lucifer. Ça ne peut venir que du patron… Il a toujours eu des idées aussi tordues… Impossible de croire que l'archange psychopathe serait descendu de son plein gré !
- Il n'y avait qu'eux, hein ? demanda Bélial, démon du péché, d'un ton inquiet. Vous-Savez-Qui n'était pas avec eux ?
Un frisson général parcourut l'assemblée. Cela avait beau remonter à des lunes, personne en Enfer n'avait oublié la visite de Gabriel, au point que certains d'entre eux n'osaient pas prononcer le nom, de peur de l'invoquer ou de porter malheur.
- Nan, juste Michael et Raphaël, répondit Belzébuth. C'est déjà bien suffisant. Déjà, Michael c'est déjà trop.
- Deux guignols en robe en Enfer… dont le psychopathe de service… mais qu'est-ce que Lucifer a encore dans la tête ? reprit Bélial.
- Il n'y a qu'un moyen de le savoir : rentrer dans le Palais et lui demander audience, répondit Astaroth.
- Ah ouais ? Et lequel parmi vous, bandes de lopettes, aura le courage de s'aventurer dans le palais en sachant que deux Archanges s'y trouvent ? Ils ont beau être des emplumés, ils restent quand même des Archanges… J'ai eu du mal à retirer la lance de là où Michael me l'avait fourré la dernière fois… En plus il a utilisé ma propre arme pour me décimer, quel sadique ! se plaignit Belzébuth.
- On peut toujours demander à Paymon ? suggéra Bélial. Elle a suffisamment d'audace…
- Et puis quoi encore ? Elle est tellement avide de voir arriver un conflit entre l'Enfer et le Paradis qu'elle irait déclencher la guerre à Michael sous le nez du patron ! répondit Astaroth d'un ton dur.
- Qu'est-ce que tu proposes alors, génie ? répliqua Belzébuth.
- Ça ferait aussi trop louche de voir un démon de haut-rang chez le patron en sachant que deux emplumés s'y trouvent. Il faudrait quelqu'un de calme… quelqu'un qui est suffisamment proche de Lucifer pour que sa présence au palais ne l'étonne pas… quelqu'un qui bosse au palais, raisonna Astaroth.
- Quelqu'un comme un intendant de la garde-robe ? devina Belzabuth avec un sourire mauvais.
Les têtes se retournèrent en direction d'Adramelech qui était en train d'arranger ses plumes de paon et qui n'avait, de ce fait, accordé que peu d'attention à la conversation. En sentant le poids du regard de ses collègues sur lui, il releva la tête :
- Quoi encore ?