Titre : Kaléidoscope
Auteur :
clair-de-lunePersonnages : Michael, Lincoln, Sara, Sucre, Veronica, T-Bag, LJ, Sofia, Lisa
Pairing : Michael/Lincoln - essentiellement mais pas uniquement.
Ratings : G à R
Avertissements : Slash et inceste pour les points de vue de Lincoln, Sucre, Michael, et dans une certaine mesure, Lisa et LJ. Ceux de Veronica, Sara et Sofia sont plus généraux. T-Bag est... T-Bag.
Mots : ~ 8500
Disclaimer : Ils ne sont pas à moi. Je les emprunte un instant et les rends dans quelques lignes.
Notes : Ecrit pour le quatrième
pbff_echange sur un prompt de
camille-miko : Espoir, menottes et rêves. Le point de vue de LJ sur la situation. Doux-amer et très "kink" (j’ai fait de mon pire mieux...).
J’ai un peu triché : plus que réellement une fanfiction, il s’agit d’un ensemble de ficlets. Elles appartiennent toutes à un même univers mais sont pour la plupart indépendantes les unes des autres : le cas échéant, vous pouvez donc sans problème zapper certains passages. Merci à
niennanou pour la beta-lecture.
Résumé : Il arrive que quelqu’un parvienne à saisir un semblant de ce qui les rapproche, les unit et parfois les sépare, mais c’est rarement plus qu’une partie de l’image, une facette, un seul des jeux de miroir du kaléidoscope.
Ratings par partie : Kaléisdocope : G. Lisa : PG. Veronica : PG. Lincoln : R. T-Bag : R. Sucre : PG-13. Sara : G. Sofia : G. LJ : PG-13. Michael : R. Reflet : R.
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Les gens autour d’eux y accordent plus ou moins d’intérêt. Certains s’interrogent et s’efforcent de comprendre avec plus ou moins de persévérance. La plupart n’y prêtent pas plus d’attention que cela n’en mérite a priori et se contentent de ce qui saute aux yeux. Il arrive que quelqu’un parvienne à saisir un semblant de ce qui les rapproche, les unit et parfois les sépare, mais c’est rarement plus qu’une partie de l’image, une facette, un seul des jeux de miroir du kaléidoscope.
Lisa
Michael n’aime pas Lisa, et Lisa n’aime pas Michael. Ni lui ni elle ne l’admettraient, cependant, et l’antagonisme est soigneusement enfoui, dissimulé, enrobé par une rassurante épaisseur d’affection familiale de bon aloi. Si soigneusement en réalité qu’ils ne sont plus même conscients de la situation. Lisa a confiance en Michael. Quand LJ était encore bébé ou tout gamin, elle le lui confiait les yeux fermés alors qu’elle éprouvait toujours le besoin de noyer Lincoln sous les conseils et les recommandations. Quand LJ a été un peu plus grand, il s’est entendu dire plus souvent qu’à son tour « Prends donc exemple sur ton oncle. »
Pourtant, la phrase sonnait creux aux oreilles de Lisa. Quelque part dans un petit recoin de son cerveau qu’elle évite soigneusement d’explorer, elle sait que Michael ne l’aime pas. Elle détourne une partie de l’affection de Lincoln. Où plutôt, LJ détourne une partie de l’affection de Lincoln, mais bien sûr, Michael adore LJ parce qu’il est le fils de Linc. L’autre personne responsable de son existence, en revanche ? C’est une tout autre histoire.
Elle ne veut pas s’appesantir sur le fait que le sentiment est réciproque, mais il n’en reste pas moins qu’elle n’aime pas Michael. Elle ne l’aime pas parce que Lincoln lui accorde beaucoup trop d’attention. Elle penserait presque que c’est de la jalousie, sauf que ce serait absurde. Etre jalouse du frère de votre petit ami est absurde, n’est-ce pas, vous ne boxez pas dans la même catégorie. Pourtant, quand elle voit la main de Lincoln se poser sur l’épaule de Michael, elle éprouve une drôle de sensation au creux de l’estomac. Elle ne parvient pas à mettre un nom dessus. Que ce soit d’un point de vue intellectuel ou émotionnel, ça lui échappe. C’est incompréhensible, indescriptible, indicible ; intuitivement, elle se dit que c’est peut-être pour le mieux, que ce n’est pas supposé être compris, décrit et dit.
Elle se souvient d’un dîner de fête, Thanksgiving ou Noël, quelque chose comme ça. Elle ne sait plus exactement, elle se rappelle juste qu’il y avait des bougies, de la neige et un repas que Michael l’avait aidée à préparer. Elle se rappelle juste que Lincoln n’habitait plus avec elle mais qu’ils avaient encore des rapports assez étroits pour apprécier de passer les fêtes ensemble. Ce qu’elle ne pourra pas oublier, par contre, ce sont les yeux de Michael posés sur elle, le demi-sourire dont il l’a gratifiée quand leurs regards se sont croisés à travers la table : il y avait de la tristesse et de la compassion dans celui de Michael. Et une pointe de satisfaction, un éclair de victoire dont il ne devait même pas être conscient.
Veronica
Ce n’est pas la première fois qu’elle assiste à ce genre de scène, mais elle ne s’y fera jamais. Ca lui laisse systématiquement un goût étrange dans la bouche, un mélange de colère, d’incompréhension et de fascination. Elle les connaît sans doute mieux que quiconque et pourtant, ils restent un mystère pour elle.
Cette fois, c’est parce que Michael a suivi Lincoln : Lincoln lui avait ordonné de rester chez eux le temps qu’il sorte faire une course, Michael a désobéi, Lincoln s’en est aperçu et, évidemment, s’est fichu en rogne.
Désobéir à Lincoln n’est pas une bonne idée, Michael aurait dû le comprendre depuis longtemps. Et Vee suppose qu’il l’a effectivement compris depuis longtemps, c’est juste que ça ne le dissuade pas de le faire quand il estime être dans son bon droit ou, simplement, quand l’envie lui en prend. Ou peut-être agit-il par provocation ; même si Lincoln ne s’en rend pas compte, Veronica est persuadée que Michael en est tout à fait capable.
Linc peut se montrer patient et compréhensif - bizarrement patient et compréhensif envers Michael, en tout cas, ce n’est pas le cas avec tout le monde - mais il n’en reste pas moins que lui désobéir n’est pas une bonne idée. Il arrive fatalement un moment où il se trouve à court de mots (Michael est doué pour provoquer cet état) et dans ces cas-là, il cogne. Il cogne parce qu’il ne sait tout simplement pas quoi faire d’autre, comment obliger Michael à obéir ou lui faire comprendre que Linc s’efforce d’agir dans son intérêt. Ce n’est pas son mode de communication favori, loin de là, et il n’en fait pas une habitude mais c’est arrivé à quelques reprises. La plupart du temps parce que Michael traînait avec les mauvaises personnes au mauvais endroit au mauvais moment. Il a ainsi appris à ses dépens que l’argument « Mais ce sont aussi tes copains, Linc ! » n’était pas valide. En réalité, c’est l’argument qui déclenche à coup sûr les foudres de Lincoln. Fais ce que je dis mais ne fais pas ce que je fais. Ca se termine en général sur une engueulade et un soupir mi-furieux mi-coupable de Linc, et une leçon sur le thème de Tu vaux mieux que ça, notion à laquelle Veronica ne peut que souscrire.
« Tu sais que tu vaux mieux que ça, Mike, » murmure Lincoln. Il y a dans sa voix un mélange de culpabilité et de regret, ainsi qu’un reste de colère. Michael se laisse faire de bon gré quand il le saisit par le menton et lui tourne le visage vers la lumière de la fenêtre pour examiner l’étendue des dégâts. Il vient même au devant du geste, familier, presque rituel. « Viens, ajoute Lincoln, on va soigner ça. »
Vee se tient sur le seuil de la salle de bain tandis que Linc baisse l’abattant des toilettes pour s’asseoir dessus et que Michael s’installe sur le bord de la baignoire. Elle les regarde, bras croisés et sourcils froncés, et secoue la tête.
« Il devrait aller à l’hôpital, Lincoln.
- C’est pas la peine, répond vivement Michael avant que son frère ait pu ouvrir la bouche, je n’ai mal nulle part. »
Bien sûr que non. Il faut bien qu’il y a ait quelque avantage à recevoir une dérouillée de part de quelqu’un qui sait, selon la nécessité du moment, comment ne pas faire vraiment mal ou comment infliger un maximum de dégâts. Michael insiste sur le fait que ce n’est pas si terrible et il a raison, juste le front qui saigne un peu. Même pas à cause d’un coup donné par Lincoln, pas directement en tout cas - c’est lorsqu’il est tombé contre le dossier d’une chaise qu’il s’est entaillé l’arcade sourcilière.
« Si je vais à l’hôpital, l’assistante sociale va...
- Seigneur ! » l’interrompt Veronica. Elle lève les mains devant elle et les laisse retomber brutalement, comme en signe de défaite. Elle connaît le refrain par coeur : si les services sociaux sont informés de ce qu’il s’est passé, Michael retournera dans un foyer. Et Vee peut bien sentir son estomac se tordre quand elle regarde la tempe tuméfiée de Michael, elle sait qu’être séparé de Lincoln serait pire que tout pour lui. « Vous êtes aussi dingues l’un que l’autre. »
Michael ferme les yeux et un léger sourire lui étire les lèvres quand Lincoln tamponne délicatement la coupure avec un coton imbibé d’eau oxygénée.
« Vous réalisez à quel point c’est dysfonctionnel, au moins ?
- C’est pas parce que tu as été acceptée dans cette école de droit que tu peux inventer des mots, » relève Lincoln. Il ne la regarde pas pour lui parler, il ne détourne pas son attention du visage de Michael, et pendant un instant, elle ne dit rien. Elle se contente de les observer, hypnotisée par la concentration de Lincoln ; c’est le genre d’attention pleine et entière qu’elle ne lui voit habituellement que lorsqu’ils sont seuls tous les deux et qu’il veut quelque chose de spécial. De vraiment spécial.
« C’est un véritable mot, » rétorque Michael en prenant soin de ne pas bouger - il a déjà reçu un bout de coton dans l’oeil, un jour, parce qu’il parlait inconsidérément tandis que Lincoln tamponnait et pansait un accès de colère. Il se montre prudent, désormais.
« Tu vois. C’est pour ça que tu dois continuer à aller à l’école au lieu de vouloir traîner avec des petites frappes. Pour pouvoir apprendre des trucs et me les balancer en pleine figure. »
Ce n’est pas la première fois que ça se produit et Vee parierait sa main droite que ce ne sera pas la dernière. Elle aimerait juste parvenir à être un tout petit peu plus horrifiée par la façon pour le moins non conventionnelle qu’ils ont d’exprimer leur affection l’un pour l’autre.
Lincoln
Sur le moment, les menottes ne lui ont pas semblé être une mauvaise idée. Ce n’est pas comme si c’était nouveau, de toute façon, ce genre de truc est depuis quelque temps une des idées fixes de Michael. La première fois, il a utilisé une cravate - bleue, en soie, la sienne, évidemment parce que Lincoln ne porte pas ces machins s’il n’y est pas contraint et forcé. Il y a ensuite eu une ceinture et une fois, le tee-shirt de Lincoln remonté, entortillé et noué avant que Lincoln n’ait vraiment tout à fait compris comment. Aussi, quand Michael a sorti de son attaché case la paire de menottes et a interrogé Lincoln du regard, Lincoln a simplement haussé les épaules et répondu « Okay » avec un demi-sourire. Une traînée de chaleur s’est répandue dans son bas-ventre à l’idée que son frère se soit promené toute la journée, de réunions en présentations, avec ces machins planqués sous ses dossiers.
Pour être franc, les menottes lui ont même semblé être une bonne idée. Ca fait plaisir à Michael et il aime faire plaisir à Michael. Linc ne se définirait certainement pas comme quelqu’un éprouvant autant de satisfaction à donner du plaisir qu’à en recevoir - sauf avec quelques personnes triées sur le volet, dont Mike. Mais bien sûr, dans son univers, une bonne action est rarement récompensée et il paye un peu sa complaisance, à présent. Il est allongé dans une position improbable, sur le flanc, tordu à la taille, le ventre et les hanches poussés vers le matelas par les va-et-vient lents et assurés de Michael, les mains attachées à la tête du lit et le visage coincé entre ses biceps. Il se console en se disant que même si ses bras semblent prêts à se déloger de ses épaules et sa colonne vertébrale à se plier en deux selon un angle des plus inconfortables, ça fait bel et bien plaisir à Michael. Il le sent et il l’entend. Son frère bouge dans son dos, des mouvements mesurés et languides, délibérés et profonds, lui enfonce les doigts dans les muscles de la cuisse et les dents dans l’épaule. Les petits sons qui lui échappent suggèrent sans ambiguïté que l’abnégation de Lincoln n’est pas vaine.
« Linc...
- Ouais ? » demande-t-il, mais rien ne suit vraiment. Juste un autre Linc qui s’étire avec une quantité absurde de i, plaintif et essoufflé, un oh, un hum. Okay, songe-t-il, ce genre de Linc. Celui appelant une réponse, non pas verbale, mais physique. Avec un sourire satisfait, il s’arque vers l’arrière et s’efforce, en dépit de sa posture quelque peu délicate, de se fondre un peu plus dans l’étreinte de Michael.
Pour être cent pour cent honnête, pendant quelques instants, Lincoln pense que les menottes sont une fabuleuse idée. Ce sont quelques secondes pendant lesquelles la peau de Michael glisse contre la sienne, humide de transpiration, tandis qu’il s’accroche à lui comme si son existence en dépendait. Puis, les tremblements qui viennent de le secouer à peine calmés et la respiration cavalant encore, il recule tout d’un coup et roule sur lui-même pour s’asseoir au bord du lit. Lincoln attend deux ou trois secondes, songeant que la suite va venir - agis avec autrui comme tu voudrais qu’autrui agisse avec toi et tout ça - mais il sent juste le poids de Michael quitter le matelas. Dans un craquement de bois et d’os, il se retourne tant bien que mal et voit Michael se saisir du premier vêtement qui lui tombe sous la main, le jean de Linc en l’occurrence, et se glisser dedans.
« Eh !
- Je reviens tout de suite, » lui promet-il. Il se penche pour lui déposer un baiser rapide sur les lèvres et remonter les couvertures sur lui. Le geste est attentionné, considérant qu’une fois que la peau de Michael ne touche plus la sienne, il frissonne de froid et tremble de besoin, mais ce n’est pas exactement ce qu’il espérait.
Il laisse sa tête retomber contre les oreillers et attend. Pas comme s’il pouvait faire autre chose, puisqu’il est toujours menotté, la clef posée sur la table de chevet, tentatrice et inaccessible. Il entend du bruit provenant de la cuisine, Michael fourrage dans le frigo. Petit con. Avec un soupir frustré, Lincoln baisse les yeux, étudie le renflement des draps à hauteur de son ventre et, prudemment, soulève les hanches, recherchant un soupçon de friction. Pas une bonne idée. Le contact des draps est à la fois trop et trop peu.
Quand il relève les yeux, Michael l’observe depuis le seuil, appuyé au chambranle. Lincoln hésite entre gueuler et lui ordonner de venir là tout de suite, et se complaire dans l’image qu’il offre : en train de vider un pot de glace à coup de cuiller à soupe, la peau encore moite et le regard lourd de sous-entendus, vêtu en tout et pour tout d’un jean ne lui appartenant pas. Le pantalon, un peu trop large, repose bas sur ses hanches et semble promettre de glisser d’un instant à l’autre sans toutefois tenir ses engagements. Allumeur. Le jean et Michael sont bien assortis.
« Nom de Dieu, Mike ! » L’imprécation est accueillie avec une moue indiquant que ce n’est pas ainsi qu’il aura gain de cause. « S’il te plaît, reprend-il plus raisonnablement.
- Tu devais venir me voir la semaine dernière. »
Merde.
« Je suis désolé.
- On avait prévu de faire des trucs.
- On peut faire des trucs maintenant, » propose-t-il sur un ton complice et plein d’espoir.
Michael le considère avec sévérité. « Pas ce genre de trucs.
- Je suis désolé, » répète-t-il. Il regarde la pointe de la cuiller plonger dans le pot puis s’enfoncer entre les lèvres de Michael. « Tu vas me laisser... comme ça, juste pour marquer un point ? »
Pendant quelques instants, Michael semble sérieusement considérer la possibilité, puis il marmonne : « Tu sais bien que non, » et revient vers le lit. Le jean bouge à chacun de ses pas mais ne se décide toujours pas à glisser.
Il s’installe à califourchon sur lui et se penche pour l’embrasser, les lèvres et les doigts encore froids de leur contact avec la glace, le ventre chaud contre le sien. Il se tortille pour se débarrasser du pantalon, et le contact rêche du jean sur la chair échauffée de Lincoln est une véritable torture. Le foutu pantalon tombe enfin sur le sol. Un petit grognement approbateur échappe à Linc quand Michael s’installe entre ses jambes et lui glisse une main sous les reins pour le plaquer étroitement contre lui.
« C’était la glace au caramel ? demande-t-il entre deux baisers. Tu aurais pu m’en laisser.
- Je peux aller t’en racheter... » Il fait mine de se relever ; instinctivement, Lincoln l’emprisonne entre ses genoux et se lèche les lèvres, songeant que la glace par intercession, c’est largement suffisant. Plutôt pas mal, même. « Qu’est-ce que tu veux ?
- Tu te fous de moi ? »
Michael sourit au-dessus de lui, un sourire en coin, sarcastique et amusé. Lincoln serre les dents. Il n’avait pas l’air si sarcastique et amusé que ça, un quart d’heure plus tôt, quand il pantelait dans son cou, complètement incohérent. Un coup d’oeil peu amène, un roulement de hanches pour l’inciter à bouger et il se penche en avant avec une lenteur délibérée, exaspérante. Il prend son temps. Il prend vraiment tout son temps, constate Lincoln en remuant impatiemment. Il effleure, embrasse, caresse, et, quand Linc grommelle et creuse les reins avec espoir, il mord et agrippe pour le repousser contre le matelas.
« Ne m’oblige pas à supplier, Michael. Je te le ferai regretter.
- C’est une promesse ? »
Sans réfléchir, il essaye de lui poser une main sur la nuque pour le pousser vers le bas. Il est brutalement rappelé à la réalité : la chaîne des menottes racle contre le bois du lit et l’acier des bracelets mord dans la chair de ses poignets. Il étouffe un juron, puis un autre. Le troisième lui reste coincé dans la gorge quand il se voit disparaître dans la bouche et les mains de Michael. La chaleur et la douceur des lèvres glissent sur lui et il tressaute sous la caresse. Il peut supporter l’image et il peut supporter la sensation, mais, à ce stade, les deux combinées sont la garantie que les choses ne s’achèvent plus rapidement qu’il le souhaiterait ; avec un marmonnement, il détourne les yeux et laisse sa tête rouler sur le côté. Leurs silhouettes se découpent en ombres noires sur le mur de la chambre et il regarde la tête de Michael bouger, monter et descendre, le sommet de son crâne coupé en deux entre le mur et le plafond. Du porno en ombres chinoises, songe-t-il. Il se tait. Il ne dit rien car il devine que Michael n’apprécierait pas la comparaison et ce n’est définitivement pas le moment de le foutre en rogne.
Il soulève les hanches et il est aussitôt maintenu d’une poigne attentionnée mais ferme. Michael murmure tout contre lui, lui ordonne de ne pas bouger, et Lincoln fixe son attention sur le ballet des ombres au mur : elles s’étirent indéfiniment, fluides, sans consistance et formant un tout. Là, dans cette projection d’eux, rien ne permet de savoir où il finit et où Michael commence. Il aime cette idée. Une autre chose qu’il ne dit pas, cette fois pour des raisons différentes - ce serait s’exposer, à l’instant où Michael sortira de sa béatitude post-coïtale, à des commentaires ironiques. Il a soudain désespérément besoin de s’accrocher à quelque chose et il enroule ses doigts autour des barreaux du lit.
« Tu es toujours avec moi ? lui demande doucement son frère. Regarde-moi. »
Il obéit, baisse les yeux et croise son regard. Il y a sur le visage de Michael plus de sentiments, plus tendresse et de désir et de complicité que Lincoln a jamais pensé pouvoir en susciter et en éprouver. Il y a aussi, au moment où il s’arque et se presse contre Michael avec un grognement, un soupçon de triomphe.
Quand il émerge, quand il est de nouveau conscient de ce qu’il se passe autour de lui, Michael est en train de le détacher, d’ouvrir les menottes et de les lui retirer. Il lui masse doucement les poignets et les avant-bras, chassant les sensations de fourmillement qui se sont installées. Avec un sourire, d’un geste ample qui fait affreusement craquer le lit, Lincoln le renverse sous lui et l’embrasse, lui saisit les mains et les plaque contre l’oreiller.
« Un jour, il faudra que tu me laisses te les passer, » suggère-t-il en désignant les menottes d’un signe de tête.
Michael cligne des paupières et répond simplement d’un ton plat et définitif « Non.
- Pourquoi ? »
Ce n’est pas la première fois qu’il demande et se voit opposer un refus, mais c’est la première fois qu’il demande une explication. Elle tarde un peu à venir, mais finalement Michael se décide, la voix basse et un peu triste.
« Parce que de nous deux, ce n’est pas moi qui un jour vais disparaître et ne pas revenir, » laisse-t-il tomber avant d’essayer de se dégager pour se lever.
Lincoln déglutit péniblement, regrettant d’avoir posé la question, et lui enroule un bras autour de la taille pour le retenir. « Eh, où tu vas, maintenant ?
- Juste chercher quelque chose pour nous nettoyer un peu. On est...
- Laisse tomber. » Il l’enlace et se frotte contre lui. Michael gesticule, proteste pour la forme mais il finit par renoncer et il se détend, un petit soupir de reddition lui échappant. « Tu ne vas nulle part », lui ordonne-t-il. Il étire le bras pour se saisir des menottes abandonnées sur la table de chevet et il passe un bracelet à son poignet, l’autre à celui de Michael. « Je ne vais nulle part. » Le contact du métal est désagréable sur sa peau déjà entamée, mais le regard que Michael lui adresse par-dessus son épaule compense largement cet inconfort.
Il est conscient que c’est un espoir un peu vain. Qu’il traîne trop longtemps dans l’environnement de Michael et tout ce qu’il a sacrifié pour que son frère s’en sorte risque de devenir inutile. Sa simple présence est susceptible de tout foutre en l’air, c’est en général ainsi que les choses se terminent avec lui. Mais pour l’instant, il enveloppe Michael dans ses bras et ses jambes, l’emprisonne et calque sa respiration sur la sienne.
T-Bag
Il ne sait pas s’il a envie de le tuer ou de le baiser.
Oh, ce n’est pas tout à fait vrai. Il sait. Il ne parvient simplement pas à décider dans quel ordre il procèderait s’il en avait l’opportunité. Celle-ci ne risque hélas pas de se présenter avant un petit moment puisque, pour l’heure, ce qui se trouve dans la cervelle de Scofield a plus de valeur pour Theodore que ce qui se trouve dans son pantalon. Un supplice de Tantale dont Teddy sourit car, malgré tous ses défauts, il sait apprécier l’ironie d’une situation.
Sans mentionner le fait qu’il lui faut composer avec la présence de Burrows. C’est un problème qui lui est rappelé non sans rudesse quand il se tourne vers le Bleu dans le vestiaire, alors qu’ils échangent leurs tenues de travail pour leurs vêtements ordinaires. Pantalon baissé et hanches basculées en avant, s’exhibant fièrement, il balance « T’as vu ce que j’ai pour toi, mon mignon ? »
Il s’attendait à un coup d’oeil automatique et à un reniflement méprisant, puis à ce que Scofield se détourne et l’ignore. Au lieu de ça, il le détaille avec attention, et un sourire sarcastique lui étirant le coin des lèvres - ça, c’est un point qui ne suscite aucune hésitation, aucune question chez Theodore : il sait exactement ce qu’il ferait de la bouche du trop joli Michael - il rétorque avec calme : « J’ai vu mieux. »
Theodore se passe la langue sur les lèvres, insistant sur le creux de la lèvre inférieure, et considère la réponse à apporter. Il en rirait presque, tant le gamin se montre impudent quand ils ont de la compagnie, une compagnie acquise à sa cause puisque Sucre marmonne quelques jurons tandis qu’Abruzzi ricane.
Burrows, lui, ne marmonne pas et ne ricane pas. Il le saisit par le col de son tee-shirt et le propulse en arrière. Son crâne cogne avec rudesse contre le mur, le choc donnant à Teddy l’impression d’entendre des cloches résonner entre ses oreilles. Il presse un genou contre son entrejambe et, pendant un court instant, le contact rugueux du pantalon contre la chair délicate est agréable. Sink n’est assurément pas son genre, mais Theodore doit reconnaître qu’il se trouve dans une situation et un état où à peu près n’importe qui pourrait faire l’affaire. Puis le genou presse un peu plus fort, les mains sur son cou et ses épaules le poussent vers le bas, et il se retrouve coincé, compressé, écrasé entre le mur et Burrows et, merde, Teddy n’est pas un fan de la douleur, pas quand il est en le récipiendaire en tout cas. Haletant, des larmes lui piquant le coin des yeux, il devine à travers un brouillard flou un rictus sur la bouche de Burrows.
« Tu sais bien que je plaisantais, Sink. Où est passé ton sens de l’humour ?
- Rigole encore, je te les coupe et je te les fais bouffer, » lui dit Lincoln. La menace manque pour le moins d’originalité et d’imagination, mais elle a le mérite d’être délivrée avec une conviction certaine. Il se penche légèrement en arrière, baisse les yeux et arbore soudain le même sourire méprisant que son frère quelques secondes plus tôt. « Y’a plus grand-chose à voir, hein, T-Bag ? » remarque-t-il en lui tapotant gentiment l’épaule.
Donc oui, il lui faut composer avec la présence de Burrows. C’est l’idée qui l’occupe et le poursuit tandis qu’il se rhabille non sans mal, traverse les couloirs et passe les portes et les grilles jusqu’à sa cellule. Quand il se laisse tomber sur son lit, dos au mur, Seth vient sans enthousiasme mais avec résignation s’agenouiller devant lui. Il le repousse d’un petit coup de pied dans l’épaule, sans vraiment parvenir à trouver du réconfort dans l’idée qu’il ne lui aura fallu que quelques jours pour dresser efficacement son dernier boy toy en date.
« Va donc voir si tu peux faire quelque chose pour Trokey. » Pas qu’il aime partager ce qui lui a été offert, mais n’importe quoi plutôt que de devoir rester là avec, sous les yeux, la preuve manifeste de son humiliation. « Allez, décolle, mon garçon ! »
Seth sort à reculons, ne sachant trop s’il s’agit d’un répit ou d’une peine encore pire que celle qui l’attendait. Avec un sourire satisfait - il aura au moins eu cette victoire - T-Bag bascule sur lui-même et s’allonge sur le dos, un bras en travers du visage. Il ne parvient pas à garder les yeux fermés bien longtemps, cependant, car chaque fois, le faciès tordu de rage de Burrows lui revient en mémoire. L’image est pour le moins dérangeante. Il y avait dans l’expression, les yeux, la voix de Sink cette indignation vertueuse, une colère et un dégoût sans pareils qui révélaient en creux la mesure et la pureté de son affection, son amour, pour son frère. T-Bag n’est pas sûr d’avoir un jour inspiré et éprouvé de tels sentiments, doute de les éprouver à l’avenir et sait qu’il ne les inspirera plus. Ou alors de façon ô combien provisoire avec en fin de compte du mépris et du dégoût à la clef.
Il roule sur le flanc et laisse échapper un ricanement de dérision. La mesure et la pureté de l’amour. Il n’avait pas souvenir que la douleur physique le faisait sombrer dans le sentimentalisme. Il se concentre sur des notions plus rassurantes, sur l’image de Scofield ; en pensée, il force sa bouche, songe à la façon dont il devrait se courber et se plier si Theodore le poussait en avant ou au encore lui écartait les jambes et l’exposait.
Le fantasme suscite une vague de plaisir, laquelle se transforme presque aussitôt en éclair de douleur et le ramène à l’instant présent. Il réalise soudain qu’il ne sait pas ce qu’il veut. Il veut l’entendre supplier, c’est un fait ; qu’il le supplie d’arrêter ou l’implore de continuer, les détails ne sont pas bien définis, mais l’idée est là.
Ce qu’il ne sait plus trop, en revanche, c’est s’il veut Scofield ou bien ce que Scofield possède et partage avec son frère.
Sucre
Ca arrive durant un des rares moments où ils ne sont que tous les trois dans la salle de repos des gardes, Michael, Burrows et lui. La tension entre le Bleu et son frère est palpable depuis le début de la journée au point qu’Abruzzi a balancé un ou deux commentaires sarcastiques, mais ce n’est que lorsque celui-ci quitte la pièce en compagnie de T-Bag que les gants tombent pour de bon. Rien de spectaculaire, un échange de petites phrases sèches et ironiques, assez inhabituel - tant de la part de Michael, qui a rarement un mot plus haut que l’autre, que de celle de Lincoln, qui se contente en général de grogner ou grommeler en guise de réponse - pour étonner Sucre, cependant. Ils se trouvent bientôt nez à nez, leurs voix à peine un murmure exaspéré et sifflant tandis que le ton s’enflamme. Michael serre les dents, Lincoln serre les poings. Chacun ses armes, suppose Sucre.
Devant les autres, ils présentent toujours un front uni... en réalité, devant les autres, ils présentent toujours une façade lisse. Pourtant, parfois, Sucre voit des choses qu’il n’est pas supposé voir. Des choses que les autres ne voient pas, il en est à peu près sûr. Il a été le seul témoin de l’abattement de Michael quand, en une ou deux occasions, son foutu plan a vraiment failli mal tourner. Il a été le seul témoin de la panique de Lincoln à la fin des émeutes. Bien sûr, tout le monde a pu voir, mais il a été le seul à se rendre compte, quand Sink lui a agrippé la mâchoire et l’a regardé bien en face, de quelle façon, sous la colère et l’impatience, pointait l’affolement.
Sucre se demande s’il devrait se sentir flatté ou insulté qu’ils fassent si peu cas de sa présence : inspirer la confiance est une chose, mais ils sont en taule et il se dit que ne pas susciter un peu plus de méfiance est...
Il n’a pas le temps de s’appesantir sur cette idée. La dispute atteint son paroxysme quand Lincoln laisse tomber quelque chose sur le fait d’agir pour les mauvaises raisons. En voyant l’expression sur le visage de Michael, il se reprend et essaye de l’attraper par le bras. Avec un « Va au diable ! » (et Sucre songe que vraiment, ce n’est pas un truc à dire à un condamné à mort), Michael pivote sur lui-même, saisit Sucre par la nuque et l’embrasse. Sur la bouche. Avec la langue parce que Sucre à la mauvaise idée de vouloir protester et Michael en profite impunément pour...
Il se débat. Du moins, dès qu’il retrouve ses esprits, il essaye de se défaire de l’étreinte de Michael. Pas si facile car celui-ci le tient fermement, une main derrière la tête, l’autre dans le dos, et ne prête absolument aucune attention aux efforts que Sucre fournit pour se dégager.
« Adulte. Vraiment très adulte, Michael, relève Lincoln avec dérision. Pour quelqu’un qui est supposé être le grand frère de son grand frère... »
Michael ignore la remarque sarcastique, et le baiser continue. Et continue encore, laissant Sucre partagé entre un vague dégoût et une étrange curiosité. Il ne donne pas dans ce genre de truc, il préférerait sacrifier... il ne sait pas quoi... plutôt que laisser un type le toucher de la sorte. Pourtant, même s’il sait que dans quelques heures il s’en voudra à mort, la curiosité l’emporte, et il ferme les yeux, desserre les dents et laisse Michael l’embrasser. Il y a quelque chose dans la façon dont le Bleu l’étreint et le retient, de l’avidité et du désespoir, qui l’empêche d’agir comme il le voudrait et le devrait - reculer et lui coller une droite.
Près d’eux, il y a un juron marmonné, un bruit de pas, puis les mains de Michael bougent sur lui pour l’obliger à pivoter, et il se retrouve face à Lincoln.
Michael était exigeant, presque agressif ; Lincoln teste du bout des lèvres, avec politesse, goûte et asticote gentiment. Le tout sans quitter un instant Michael du regard. L’idée folle que ce n’est pas lui, pas vraiment lui que Lincoln embrasse, traverse l’esprit de Sucre, et il la repousse de toutes ses forces. Il ne veut pas songer à ce que cela signifierait ; les faits sont déjà bien assez perturbants sans élaborer de théories fumeuses.
Il essaye de reculer, de se dégager, mais Michael se serre contre lui, le pousse contre Lincoln, et il se retrouve emprisonné entre eux. Leurs bras s’enroulent autour de ses épaules, leurs doigts se rejoignent sur sa nuque, dans son dos, sur ses hanches. Il sent une des mains de Michael se faufiler et descendre le long de son ventre, se refermer sur son entrejambe, presser et caresser. Un « Chut, Fernando... » rassurant quand il sursaute, suivi d’un baiser mouillé dans le cou ; il laisse échapper un petit son ridicule, mi-soupir mi-protestation. Lincoln sourit contre sa bouche et murmure « Il est doué, hein ? » Il serre les paupières, les yeux obstinément clos, et se refuse à réfléchir.
C’est un bruit à l’extérieur qui les sépare. En une fraction de seconde, Michael est retourné à sa truelle, Lincoln à son pinceau. Soudain privé du curieux et inapproprié soutien qu’ils lui offraient, Sucre chancelle et recule pour s’appuyer contre le mur, les joues en feu. Il s’essuie frénétiquement le visage sur son revers de manche, tousse, crache et jure, les foudroie du regard quand ils le considèrent avec amusement.
« Vous valez pas mieux que T-Bag !
- Tu crois que T-Bag se serait contenté de te rouler une pelle ? remarque Lincoln.
- Ton frère m’a... » Il s’interrompt brusquement et lève les mains devant lui comme pour les tenir tous deux à distance. « Je sais pas quel est votre problème, mais laissez-moi en dehors de ces conneries. »
Avec une grimace, il crache une dernière fois sur le sol poussiéreux, se frotte la bouche sur le dos de la main et marmonne un ultime « Coños ! » Il ne peut cependant retenir un demi-sourire en les voyant échanger un regard complice et il tourne le dos pour le leur dissimuler.
Ils présentent une façade lisse et se réconcilient sur le dos du monde qui les entoure - lui, dans le cas présent, mais il soupçonne que c’est loin d’être la première fois qu’ils font ainsi front commun.
Sara
Une inspiration sifflante suivie de trois petites expirations qui ressemblent presque à un ronronnement. Le bruit est régulier, rythmique, dans la chambre d’hôtel silencieuse. Sara l’écoute sans un mot pendant une bonne dizaine de minutes, calquant sans le réaliser sa respiration dessus. Finalement, elle laisse sa tête rouler sur l’oreiller pour se tourner de l’autre côté et elle demande à Lincoln :
« Il ronfle souvent ?
- Pour autant que je me souvienne, seulement quand il est vraiment crevé. » Depuis son fauteuil, il relève la tête pour jeter un coup d’oeil à Michael, endormi sur le lit près d’elle. Il est allongé sur le ventre, tout habillé, un bras replié sous la joue. Il ne touche pas Sara, il l’effleure à peine, son coude lui frôlant le bras. « Pas vraiment sexy, hein ? »
Elle ne répond pas, elle n’est pas prête à reconnaître qu’elle trouve ça vaguement touchant, aussi bien le petit défaut embarrassant que le fait qu’il se sente assez à l’aise pour se laisser aller. Elle se contente de regarder, non sans fascination, Lincoln plier et replier une feuille de papier, ses doigts épais étonnamment précis et délicats. Une grue en origami. Il en est à sa troisième depuis que Michael s’est endormi.
C’est lui qui a exigé qu’ils prennent du repos, que Michael arrête pour quelques heures de s’agiter et dorme, bordel de merde, avant de les rendre dingues, que Sara s’installe près de lui parce qu’elle a une tête à faire peur (« Merci, Lincoln ! »). Il s’est laissé tomber dans un fauteuil, comme pour les surveiller et les empêcher de désobéir, et il a commencé à plier. C’est un étrange garde-chiourme et Sara a été un peu étonnée ; elle pensait que ce besoin de contrôler les choses, les situations, les gens était l’apanage de Michael. Elle ne peut pas lui en vouloir, cependant. Après trois années durant lesquelles il ne s’est plus appartenu, il mérite bien une compensation.
Elle soupçonne qu’une part de l’intérêt qu’il lui porte est conditionnée par le fait qu’elle compte pour Michael, et ça lui convient tout à fait. C’est réciproque. Voilà quelques jours, à Fox River... elle a fait... ce qu’elle a fait parce qu’elle était convaincue de l’innocence de Lincoln. Elle est cependant assez honnête pour savoir qu’elle ne se serait pas penchée sur son dossier sans l’insistance de Michael.
« J’aurais pas fait pour lui ce qu’il a fait pour moi, laisse soudain tomber Lincoln sans la regarder, ses doigts pliant en accordéon le bec du canard.
- Il n’y a pas grand monde qui aurait fait ce qu’il a fait. » Il approuve d’un vague hochement de tête et elle devine, à son expression, qu’il lui est reconnaissant de ne pas le contredire ou essayer de lui prouver le contraire. « Mais je suis sûre que vous avez fait votre lot de trucs idiots pour lui. »
Michael roule un peu sur le côté, sa main tâtonnant à l’aveuglette pour venir se poser sur l’estomac de Sara, juste sous la poitrine. Lincoln fixe pendant quelques secondes les doigts écartés, légèrement crispés sur le tissu du tee-shirt puis, avec un geste pour se lever, il murmure « Je devrais...
- Restez, » demande-t-elle.
Michael bouge de nouveau, le mouvement faisant légèrement remonter la manche de son pull sur son poignet et découvrant quelques lignes et courbes du tatouage. Lincoln observe les dessins, incapable de s’en détacher.
« Les trucs idiots... certains, pas tous..., admet-il, c’était pour éviter qu’il finisse comme moi. » Il reporte son regard sur le visage de Sara. « A Fox River, je vous avais demandé de veiller sur lui... après. » Elle hoche la tête aussi bien pour lui signifier qu’elle se souvient de la requête que pour indiquer qu’elle était et est toujours d’accord. « Si les choses se passent mal tout à l’heure, faites en sorte qu’il foute le camp. Que vous foutiez le camp tous les deux. Je ne veux pas qu’il refasse le même genre de connerie que quand il a promis à Pope de se rendre. Il ne tombera pas toujours sur un type comme Pope. »
Ils sont pris dans une étrange spirale - Michael s’obstinant à vouloir sauver Lincoln, et Lincoln s’entêtant à vouloir protéger Michael - et les paroles de Lincoln la font sourire.
« Vous réalisez que c’est un voeu pieux, n’est-ce pas ?
- Mais vous essayerez quand même, hein ?
- Oui.
- Okay. » Il se lève de son fauteuil, se penche par-dessus Sara, une des grues à la main, et enfonce l’origami dans la bouche entrouverte de Michael. « Ca devrait soit l’étouffer soit le réveiller, marmonne-t-il. Avec un peu de chance, il arrêtera de ronfler. »
Sofia
De temps en temps, quand elle rend visite à Lincoln et LJ, Michael est là. Elle sait qu’il vient les voir régulièrement, au moins une fois par semaine. Lincoln et lui s’installent sur la petite véranda à l’arrière de la maison et, les yeux fixés sur la ligne d’horizon, ils restent là pendant quelques heures, immobiles et silencieux. Parfois Sofia est assise à l’intérieur, juste de l’autre côté de la fenêtre ; parfois, LJ et elle se trouvent près d’eux ; dans un cas comme dans l’autre, rien ne semble pouvoir attirer leur attention, perturber leur communication muette. Ni l’un ni l’autre n’est très bavard, mais "silence" prend une tout autre définition quand ils se trouvent ensemble.
Elle suppose que ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils partagent est au-delà des mots.
Une porte qui claque puis un bruit de pas troublent la quiétude de la maison. Elle sursaute. Quand elle tourne la tête, relève les yeux, c’est pour voir le visage de LJ. En dehors de deux plaques rouges sur les joues, il est pâle, les yeux brillants, et s’agite nerveusement, sautillant presque d’un pied sur l’autre.
« Ca ne va pas ? lui demande-t-elle avec inquiétude.
- Si... je ... si.
- J’allais partir. Tu veux venir avec moi ? »
Elle propose sans grand espoir d’obtenir une réponse positive : aussi fréquentes et silencieuses que soient les visites de son oncle Mike, LJ se fait toujours un point d’honneur à être là quand il vient. Pourtant, aujourd’hui, il lance un coup d’oeil en direction de la véranda et hausse les épaules.
« Pourquoi pas ? Tu me laisses conduire ? »
Elle attrape les clefs de la voiture et les lui agite sous le nez. « Contre une heure de shopping ?
- Vendu, » accepte-t-il en se saisissant du trousseau de clefs.
LJ
Il ferme la porte des toilettes et vomit son déjeuner. Et son petit-déjeuner pour faire bonne mesure. Ca dure une éternité et d’une certaine façon, il aimerait que ça ne s’arrête pas. Les haut-le-coeur lui tordent l’estomac et le plient en deux, mais ils seraient presque bienvenus, ils lui permettent de se concentrer sur autre chose. A la fin, il lui reste un goût de bile sur la langue et des larmes qui lui piquent le coin des paupières. Il s’essuie la bouche avec un morceau de papier, tire la chasse et s’effondre lourdement contre le mur. Il n’est pas en état de rester à genoux, encore moins de se lever et de marcher pour l’instant.
La semaine précédente, il les a vus. Il n’a pas fait exprès, il ne voulait pas, il les a juste vus. Dans l’atelier de Michael. Pas qu’il y ait eu grand-chose à voir, en réalité. Une étreinte un peu trop étroite, des mains qui sont descendues un peu trop bas et ont agrippé un peu trop fort. Il n’y aurait pas prêté attention, il aurait simplement tourné les talons, s’ils n’avaient pas appuyé leurs fronts l’un contre l’autre, respirant dans le même espace, yeux clos, s’il n’y avait pas eu sur leurs visages puis dans leurs regards ensuite tout au long de la journée cette expression. Celle que lui-même arbore quand il regarde Sofia, suppose LJ. Celle que Sofia arbore quand elle regarde Lincoln. Un mélange d’amour et de désir insatisfaits, une pointe de désespoir, une touche d’acceptation.
Il se demande si ça a toujours été là, sous son nez, sans qu’il s’en aperçoive.
Il ne comprend pas et il ne veut pas comprendre. Il sait que comprendre et pardonner, et pardonner et accepter sont des choses différentes, mais pour l’instant, la différence est bien trop subtile. Pour comprendre, il faudrait de toute façon qu’il y réfléchisse et c’est vraiment, vraiment quelque chose qu’il préfère éviter. Y réfléchir, à un moment ou à un autre, l’amènerait à se poser des questions telles que depuis quand, et pourquoi, et combien de fois et comment. Il ne veut pas connaître les réponses. Il doute sincèrement que ce soit une de ces situations où ce qu’il peut imaginer est pire que les faits. Il préfère continuer à évoluer dans le brouillard qui l’enveloppe depuis une semaine - en vérité, il préférerait être béatement inconscient de la réalité, mais ce n’est pas comme s’il avait le choix. Il y a bien les haut-le-coeur, un voile rouge devant les yeux quand il les regarde ; parfois, il y rêve la nuit et se réveille avec une migraine et l’estomac retourné, mais tout ça, c’est un moindre mal. Tant qu’il n’y réfléchit pas, il ne risque pas de les détester, les mépriser ou encore éprouver à leur égard un infâme sentiment de pitié.
Il reste figé, indécis, lorsque Sofia brandit les clefs de la voiture devant lui. Il ne peut pas sortir, partir. Il se dit qu’ils n’oseront rien faire tant qu’il y aura du monde dans la maison et cette idée l’incite à rester. A s’asseoir devant la vieille télé et à attendre et à les obliger à ne rien faire. Puis il entend un bruit sourd sous la véranda, un dossier de chaise qui heurte lourdement le mur. Il sent le brouillard se déchirer, son coeur lui remonter dans la gorge, un voile rouge lui recouvrir les yeux, et il réalise qu’il ne va pas être capable de rester là une seconde de plus.
Michael
« C’est moi qui était supposé partir et ne pas revenir, non ? »
Michael sursaute en entendant les quelques mots, prononcés à mi-voix, par Lincoln. Tant parce que, d’habitude, ils ne parlent pas - et certainement pas de ça - que parce que la question renvoie à quelque chose qui se passait dans une autre existence. Depuis Sona, il y a bien eu quelques étreintes un peu trop ferventes et deux ou trois dérapages sous forme de baisers volés à la va-vite, mais pour l’essentiel, c’est quelque chose qui se passait dans une autre existence.
« Je ne suis pas parti, » remarque-t-il. Lincoln lève les yeux au ciel et il ne peut pas lui en vouloir ; il sait très bien ce que son frère veut dire.
Linc lui manque. Il le voit toutes les semaines, mais il lui manque. Pendant longtemps, il a pensé que les secrets, les tabous brisés, l’indécence de ce qu’ils faisaient étaient lourds à porter. Et c’était le cas, bien sûr, mais depuis quelque temps, il songe que c’était cependant moins lourd que d’avoir perdu l’étrange intimité qu’ils partageaient.
« LJ et Sofia sont sortis. »
Lincoln le regarde sans comprendre. Il sait que LJ et Sofia sont sortis, il était là quand son fils - qui va avoir de ses nouvelles en revenant - a démarré la voiture en faisant ronfler le moteur d’une façon effarante. « Quoi ?
- Viens, dit-il en lui tendant la main. S’il te plaît. »
Lincoln fixe la main offerte et... « Oh... »
Les pieds des chaises crissent sur le sol de la véranda quand Linc se lève vivement et le saisit par le poignet pour le tirer contre lui. Une pluie de baisers empressés, maladroits dans leur précipitation. Un boum dans le couloir quand Michael pousse Lincoln contre le mur et tombe à genoux devant lui. Un grognement « Pas comme ça, Michael... » quand il lui défait ses vêtements juste assez pour le prendre dans sa bouche, le grognement se transformant en protestation parce que Michael s’accroche obstinément à ses hanches.
« Pas comme ça, nom de Dieu ! »
Comme ça ou autrement, aucune importance. Linc lui manque. Il a besoin de goûter, entendre, humer, toucher, voir. Pas forcément dans cet ordre. Mais Linc ne veut pas comme ça, aussi ne proteste-t-il pas quand il est relevé de vive force et poussé aveuglément en direction de la chambre. Le coeur battant à tout rompre, il regarde Lincoln verrouiller la porte, fermer les rideaux avec précipitation. Il en sourirait presque. Il en sourit effectivement lorsque, après s’être débarrassé de sa chemise, il défait sa ceinture et la tapote pensivement contre la paume de sa main, le cuir souple et chaud contre sa peau. Il croise le regard de Lincoln ; avec une mimique entendue, presque amusée, son frère lui tend ses poignets.
Il fait signe que non. Ce n’est pas ce qu’il a en tête, ce n’est pas ce dont il a besoin, ce n’est pas ce dont Lincoln a besoin. Sans un mot, il lui donne la ceinture en cuir, va s’allonger sur le lit, les bras tendus au-dessus de la tête. Il s’autorise juste un coup d’oeil par-dessus son épaule pour s’assurer que Lincoln va le suivre, va jouer le jeu. Tout en le fixant, le détaillant, Lincoln abandonne en une pile désordonnée chaussures, tee-shirt, jean et caleçon ; il garde à la main les deux ceintures.
Il lui en enroule une autour des poignets, utilise l’autre pour l’attacher aux barreaux du lit, les mains juste un peu plus haut que la ligne des épaules, et Michael se retrouve immobilisé pour de bon. Il essaye de bouger, d’écarter les mains, mais Lincoln n’a pas fait semblant et le lien résiste. Il enfouit le visage entre ses bras et attend. Obligeant, il soulève les hanches pour aider Linc à tirer sur les jambes de son pantalon, arrondit les épaules et creuse les reins sous les baisers, soupire quand les mains et la bouche de Lincoln descendent et glissent sur sa peau. Il a les mains rugueuses, les a toujours eues, et pour faire bonne mesure, il fait rouler la chair entre ses dents. Michael tressaute et essaye à la fois de s’écarter et se rapprocher, plus près, encore plus près.
« Tu m’as manqué. »
Un petit rire amusé échappe à Lincoln. Il mord sans retenue dans le muscle de sa cuisse, assez fort pour laisser une trace de dents, puis il s’écarte et l’oblige à se redresser sur ses genoux. Le torse allongé sur le lit, la tête pendant entre les bras, la position n’est pas des plus confortables, mais il suppose qu’il doit bien ça à Lincoln pour le nombre de fois où il l’a attaché, menotté, retenu d’une façon ou d’une autre. Et ce n’est pas comme si c’était désagréable. C’est agréable. Plus qu’agréable. Les sensations, mais surtout le fait que Lincoln le connaît par coeur et n’a rien oublié de ce qu’il aime. Il caresse et embrasse jusqu’à ce que Michael se cambre, délibérément provocant et suppliant, et exhale un s’il te plaît plaintif, déloyal.
« Ce n’est pas moi qui t’ai manqué, Mike, j’étais là, » remarque-t-il en s’agenouillant entre ses jambes. Michael frémit à son contact, serre les dents et referme les doigts autour de la ceinture. Les mains de Lincoln remontent le long de sa colonne vertébrale vers ses épaules, palpent et massent les muscles bandés plus qu’elles ne les caressent. Il bascule les hanches en avant et Michael peut deviner un sourire dans sa voix quand il lui murmure à l’oreille « Ce qui t’a manqué, c’est ça. »
Sous le coup de reins de Lincoln, ses genoux le trahissent et cèdent lâchement. Avec un souffle retenu, il se laisse glisser à plat ventre et sent Linc le recouvrir tout entier, pressant et possessif.
Reflet
Il y a un miroir accroché au mur en face du lit ; Lincoln prétend qu’il ne l’a pas placé là à dessein et Michael ne le croit pas. Il renvoie d’eux une image plate, lisse et bidimensionnelle : lui allongé au creux du matelas, Lincoln à l’équerre, la tête reposant sur son estomac, les doigts glissant sur son ventre en une caresse distraite et désintéressée.
L’image est parfaitement composée et son cerveau ne manque jamais de tourner en vrille pour la maintenir en l’état. Chaque élément joue, compte et importe, mais tout tient en réalité à un double fait : il aime Lincoln, et Lincoln l’aime. Il peut déceler dans le reflet presque statique chaque facette et chaque nuance, chaque trait de lumière et chaque zone d’ombre, chaque bonheur et chaque vicissitude passés et à venir.
Fin
Les commentaires sont comme le chocolat - toujours bienvenus ^_^
4 mars-21 avril 2008