[EV] Mithridatum p2

May 15, 2008 17:46



« On rentre, lança-t-il d’une voix forte. Et cessez de vous plaindre, bon sang ! Il ne perd rien pour attendre, murmura-t-il sombrement. On l’attend au tournant… »

Kahei devrait se croire bien malin, mais il sous-estimait votre humble serviteur. Rangsey renifla. Tournant les talons, il fit signe à un de ses hommes de le suivre et s’engouffra dans une rue. Prochaine destination, le lycée du district 112… Ils devaient avoir le registre des adresses de tous les étudiants, là bas. Rangsey connaissait Kahei trop bien. Il savait où il passerait la nuit…

*

Toshi n’en pouvait plus. Il pleuvait, l’air était froid et humide, le ciel vomissait des éclairs et le vent soufflait comme s’il cherchait à arracher les restes des ruines où ils se trouvaient. Et il était en train de se planquer, en compagnie de Kahei Endô, un type qu’il ne pouvait pas sentir en temps normal. Tout ça parce qu’ils étaient poursuivis par le gang le plus puissant d’Aéra 3. Franchement la nuit la plus fabuleuse de sa vie.

« Arrête de faire la gueule, lâcha Kahei, assis en face de lui dans une pièce de la maison éventrée. On est en vie, c’est déjà ça non ? »

Oui, et bien ce n’était pas grâce à lui. Enfin si, mais s’il n’avait pas entraîné Toshi dans tout ça, il n’en serait pas là. Toshi commençait à se sentir franchement aigri. Il réprima un soupir et jeta un coup d’œil dehors. La nuit était si noire qu’il ne voyait pas la pluie tomber, n’entendant que son battement sur le sol inégal. L’atmosphère se troublait à chaque fois qu’un éclair s’abattait, illuminant le ciel de son courroux.

« Le point positif, c’est qu’ils ont dû cesser les recherches avec l’orage, dit Kahei, fumant sa n-ième cigarette. Par contre, dès que ce sera fini… »

Il se mit à rire. Malgré les événements, il était d’excellente humeur. Les choses passaient plus ou moins comme prévues, et plus que moins, ce qui était rare. Si les dieux continuaient à se montrer aussi cléments… Enfin, les Dieux. Il n’évoquait évidemment pas les pseudo dieux qui habitaient plus haut, dans Himel. Les habitants d’Himel avaient beau être merveilleux, ils étaient loin d’être divins. Kahei pouvait vous l’affirmer… Mais bref. Il fallait qu’il pense à son prochain coup.

« On n’est pas à côté de chez toi, Sasaki ?

- Non. »

Ce qui voulait dire oui. Kahei tira une bouffée de nicotine et la recracha en faisant de petits ronds de fumée.

« Parfait. On sera plus en sécurité chez toi qu’ici, c’est évident. Et dormir dans un lit chaud cette nuit ne me déplaît pas. »

Il adorait quand Toshi avait cette expression, mélange de surprise, de fatalisme et de dégoût suprême. Il fit craquer ses doigts, changeant sa cigarette de main.

« Donc on fait comme ça. Dès que l’orage s’arrête, on va chez toi. »

Il était sûr d’avoir entendu Toshi lancer une prière au ciel pour qu’il n’arrête pas de pleuvoir. Adorable.

*

La porte s’ouvrit lentement, coulissant sans bruit sur ses gonds.

« C’est là… Coquet, commenta Kahei. Et y a quelqu’un à la maison ?

- Ferma la. »

Toshi l’attrapa par le bras et le tira vers sa chambre, priant pour que sa mère n’ait pas d’autres invités imprévus. A première vue, la pièce était vide. Il poussa Kahei à l’intérieur et referma la porte derrière lui, le plus silencieusement possible. La chose faite, il se laissa tomber assis sur son lit et ferma les yeux. Une migraine commençait déjà à lui battre les tempes. Avec un peu de chance, quand il les rouvrirait, Kahei Endô aura disparu de son existence.

Il avait accepté que l’autre le suive, uniquement parce que l’autre lui avait promis qu’il disparaîtrait le lendemain et oublierait sa totale existence à jamais. Etant à la base une personne clairvoyante, Toshi en doutait franchement. Mais à 3h du matin, mouillé et les membres atrocement douloureux, la clairvoyance n’avait plus trop sa place dans ses idées. Elle cédait à la place à un vain espoir, auquel le blond se raccrochait pathétiquement de toutes ses forces. Et puis, même s’il ne l’avait pas consciemment guidé, avec cet orage, Toshi n’aurait pas voulu passer la nuit dehors. Kahei l’aurait juste suivi jusqu’à chez lui, qu’il le veuille ou non… Demain matin, il n’aurait qu’à le jeter dehors.

Un poids lourd lui tomba soudain sur le dos et il étouffa un grognement irrité. Joueur, Kahei lui chatouilla l’oreille.

« Et on fait quoi maintenant ? On peut faire un jeu s’tu veux…

- Tu dors par terre, lui cracha Toshi. Où tu veux, tu te démerdes.

- Quelle hargne… Va me chercher un truc pour me soigner, lâcha Kahei. Ah, et puis, je crève la dalle. Dépêche toi ou je vais hurler de douleur et réveiller tout le quartier. »

Ce type était… agaçant. Non, il était probablement plus qu’agaçant, plus quelque chose comme détestable ou exécrable, mais Toshi se sentait trop fatigué pour trouver l’adjectif convenable à lui appliquer. Il étouffa un soupir et se leva péniblement, repoussant le corps de Kahei drapé sur lui. Il se doutait que sa mère et son quelconque invité n’aimeraient pas se faire tirer du lit à cette heure de la nuit. Des pansements… Il devait avoir ça quelque part. Bien que l’autre ne les méritait sûrement pas.

« Bouge pas, dit-il. Et touche à rien. »

Il se glissa hors de la chambre et se dirigea vers la salle de bain. La boîte à pharmacie était presque vide. Quelle surprise. De toute façon, il n’avait que vaguement aperçu la blessure de Kahei, mais si ça saignait il lui faudrait plus que des pansements. Dans le noir, il remplit silencieusement une bassine d’eau et attrapa un linge, chercha sans succès du désinfectant avant de reprendre le chemin de sa chambre.

« Endô, chuchota-t-il à son entrée. Tu…. Endô ? »

Pendant dix secondes, Toshi eut une pensée émue pour le ciel qui avait exaucé ses souhaits, comprendre : la disparition totale de son invité indésirable. Mais c’aurait été trop beau pour être vrai. Il prit une profonde inspiration et posa la bassine sur son lit avant de retourner dans le couloir, ses yeux verts étincelant d’ennui. Il n’eut pas à aller bien loin pour retrouver le brun.

Le nez dans le frigo, Kahei l’ignora quand il pénétra dans la cuisine, trop occupé à fouiller. Son sans-gêne était admirable, encore plus que sa tendance à s’incruster chez les gens sous la menace, pensa Toshi, blasé. Il dut prendre sur lui-même pour ne pas céder à ses pulsions et lui foutre un coup de couteau dans le dos. C’aurait fait desordre.

Il patienta le temps que Kahei ait finir de se servir et le re-suivit dans la chambre sans un mot. Kahei s’affala sur son lit et mastiqua son bout de pizza, à deux doigts de faire basculer la bassine d’eau par terre. Il avait enlevé sa veste et Toshi pouvait clairement voir la blessure dans son dos, une large éraflure ensanglantée partant de l’omoplate aux reins.

« Il t’a pas loupé, commenta-t-il avec une pointe de ravissement, examinant la plaie.

- Ouais, tu trouves aussi… »

Et soudain, il se retrouva une fois encore plaqué contre Kahei, la tête pressée contre son torse. Il se débattit pour la forme, tout en sachant que cela ne servait à rien. Kahei semblait savoir que ça l’énervait au plus haut point, et il prenait visiblement plaisir à lui courir sur les nerfs. Ou bien il lui faisait payer son amusement ?

« Lâche moi… T’es lourd, putain !

- Quoi… Tu ne m’aimes pas ?

- Seulement dans tes rêves !

- Ne dis pas ce genre de chose sans réfléchir, dit Kahei. Je pourrais mal le prendre, et… tu ne peux pas savoir ce que je ferai.

- C’est bien le problème, » siffla Toshi.

Il le fatiguait… à un point inimaginable. Un jour, décida Toshi, il débarrasserait le monde de Kahei Endô. L’autre le dévisageait maintenant sous ses paupières à demi baissées, accroissement son malaise.

« Dépêche toi de te soigner, lâcha finalement le blond, lui montrant la bassine d’eau. Je veux me pieuter. »

Ca ne servait à rien de perdre son calme face à Kahei. Il ne le connaissait que depuis quelques heures, mais les choses étaient évidentes : s’il était de bonne humeur, ça lui faisait plaisir que Toshi l’insulte. Et si ce n’était pas le cas, ça lui faisait aussi plaisir de lui faire la tête au carré… Toshi comprenait mieux l’expression «  se trouver entre la pierre et le marteau ». L’autre le regardait toujours.

« Tes blessures ont disparu, murmura-t-il, faisant courir ses doigts sur la joue de Toshi, là où il savait que le blond s’était blessé.

- Tu rêves encore. »

Les yeux de Kahei s’étrécirent. Toshi avait cicatrisé vite, très vite. N’avait-il pas déjà entendu une histoire à ce sujet ? C’était… intéressant.

« Aide moi, » lâcha-t-il, tendant le linge mouillé au blond.

Celui-ci s’exécuta assez rapidement, à sa plus grande surprise. Il devait penser quelque chose comme « plus vite j’en aurai fini avec lui, plus vite je pourrai dormir », se dit-il, amusé. Les doigts de Toshi sur sa peau étaient frais et délicats, ce n’était pas désagréable. Une fois la plaie lavée et pansée, le blond se leva et se glissa dans ses draps. Kahei le regarda faire, et, haussant les épaules, le rejoignit dans le lit. Toshi allait encore bouder. Charmant.

« Drôle de soirée… commenta-t-il, regardant l’arrière du crâne du blond qui lui tournait le dos. Je me suis trouvé une princesse grincheuse, j’ai vu Eden… Rangsey… Et bientôt, j’irai voir ceux qu’on appelle les dieux. »

Les dieux… Ils n’en étaient pas mais ils habitaient plus haut dans le ciel, là où Kahei ne pouvait pas atteindre. Les gens d’Aéra 2 et d’Himel, qui vivaient une vie paisible et faste… Un jour, Kahei trouverait le moyen de les rejoindre. Eden verrait qu’elle avait tort sur toute la ligne… Il caressa le petit livre glissé dans sa poche et sourit.

« Tu voudrais venir avec moi, chérie ?

- Endô… Ta gueule. »

Kahei rigola.

« Tu es comme un petit oiseau pris en pleine tempête, » murmura-t-il, sarcastique. « Mignon… »

Toshi sentit une main lui ébouriffer les cheveux, qu’il repoussa sèchement. Il soupira et se recroquevilla sous sa couverture, sentant le brun remuer dans son dos. Ce type… Ah, et puis merde. Il ferma les yeux et cala sa tête contre l’oreiller. Demain, il allait le dégager à la première heure. Et tout redeviendrait comme avant…

*

mithridatum, aera3, evanghell

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