Titre : Parallèle
Genre : UA - Ev' verse, série [EV.EIL]
Perso : Kagami
Rating : PG
(Où suis-je ?)
Dans un claquement, le ventilateur rendit l’âme. Ses palmes tordues stoppèrent leur rotation pour se figer dans une détestable inertie, emportant avec elles le peu de fraîcheur brassée dans la pièce. Kagami se figea, prise d’un léger vertige. Elle fixa sans le voir l’homme bedonnant assis de l’autre côté du bureau, qui s’agita inconfortablement sur son siège.
« - Je vous en prie… C’est une affaire très importante, urgea-t-il, épongeant son front ruisselant du revers de la main.
- Je comprends tout à fait, » marmonna la jeune femme
Elle se massa les tempes. La chaleur était presque insupportable, et la migraine qui lui martelait le crâne depuis plusieurs heures refusait définitivement de passer. Pendant quelques instants, elle fit semblant de parcourir un fichier, avant de le reposer et de sourire à son interlocuteur.
« - Nous allons nous occuper de votre cas, Mr Sullivan. Devdan ? »
Kagami fit signe au jeune homme d’approcher et de prendre sa place. Elle se sentait un peu coupable de laisser le novice fraîchement diplômé en proie aux demandes compulsives de Sullivan, mais il lui fallait absolument. De l’air.
« - Tout va comme tu veux, Kagami ? demanda Devdan.
- Oui, juste besoin d’une pause... Je reviens tout de suite. »
Elle ignora le regard inquiet de l’indien et traça son chemin vers la sortie, contournant les piles de dossiers posées à même le sol et les pots de fleurs que Jane s’obstinait à ramener au bureau. Le couloir dans lequel elle déboucha n’était pas fréquenté à cette heure-ci, et encore moins en cette période de l’année. Elle aurait mieux fait de faire comme la moitié de ses collègues et prendre un congé. Loin de cette. Chaleur.
(Qui suis-je ?)
La fenêtre refusa d’abord de s’ouvrir. Kagami pesta et tira sur la poignée, lançant un regard vicieux à la vitre teintée. La climatisation était en panne dans tout l’immeuble, et avec le décès du vieux ventilateur que Devdan avait ramené de ses parents, le bureau 23 ressemblait plus à un four crématoire qu’autre chose.
Quand elle vint enfin à bout de la fenêtre récalcitrante, elle fut récompensée par une grande bouffée d’air chaud. Evidemment. Le ciel était d’un bleu aveuglant. Avec des gestes lents - pour économiser son énergie - elle sortit un mouchoir en papier de sa poche et s’épongea le visage. Elle ne savait pas combien de temps elle resta devant. Cette fenêtre.
(Respire.)
« - Kagami. Kagami. »
Quelque chose de froid et d’humide sur son front. Procurant un véritable soulagement, et elle se sentit protester quand il disparut. Ses doigts attrapèrent la main qui s’éloignait et elle ouvrit les yeux. Mais le ciel était toujours. Tellement aveuglant.
(Est-ce que tu te souviens ?)
« -
Qu’est ce qu’il t’arrive, Kaga ? »
La voix dans le combiné était irritée et inquiète, mais la jeune femme n’arrivait pas à se sentir concernée. Recroquevillée dans un fauteuil, elle joua un instant avec un capuchon de stylo du bout des doigts, avant de le reposer.
« -
On ne te voit plus, tu ne sors plus. Jane m’a dit que tu n’allais même plus au boulot, sans explication, tu n’es plus venue !
- J’ai pris un congé, dit Kagami.
-
Un congé ? En tout cas. Soit tu viens, soit je viens, mais je veux te voir. J’ai toujours les clés de chez toi, tu sais.
- Je ne suis pas chez moi, mentit Kagami.
-
Quoi ? Tu -
- Je dois raccrocher. »
Il faisait nuit et toutes les lumières étaient éteintes. Sauf celles de l’extérieur, jaunes et orangées. Toujours en constant mouvement, comme incapables de se reposer. Elles semblaient danser, suivre un rythme, une chorégraphie monotone. Kagami se leva et s’approcha de la baie vitrée. La ville vivait sous ses yeux, silencieuse, presque inaccessible. Et quand elle levait les yeux, le ciel était noir, vide, et rien. Il n’y avait rien.
(En haut il y a le rêve des hommes, un endroit appelé Himel.)
C’était si étrange. Elle pouvait voir le fantôme de son reflet dans la vitre. Sa peau pâle, ses longs cheveux noirs. Ses yeux sombres.
Et puis les siens. Elle, elle était là, silencieuse, toujours présente mais depuis peu elle s’était mise à parler. A narrer des contes de fée amers et sanguinaires, où les princes se mariaient avec d’autres princes, où l’argent était un dieu et le pouvoir pouvait briser des villes et des cités. Kagami avait peur de ce monde. Et avait tellement, tellement envie d’y retourner. Elle ne pouvait plus respirer.
(Aide moi.)
Une sonnerie résonna dans l’appartement et quelqu’un frappa à la porte. Fort.
« - Kaga, c’est moi, ouvre ! »
Son reflet lui dit : non. Oublie le. Tu n’as besoin de personne. Kagami ne savait plus. Son reflet lui dit : je veux retourner chez moi. Je veux re-être moi. Arrête. Kagami hurla. Une clé fut insérée dans la serrure, et la porte s’ouvrit. Alex se précipita. Elle était tombée, elle s’était cognée, et dans le noir, quelque part, il y avait un peu. De lumière.
« - Alex, dit Kagami. Je crois… »
(Je crois que je deviens folle.)