Semaine de la Fic #2 : Mercredi

Sep 08, 2010 10:35

Et ça continue donc :



Chapitre 3 - Des stupides Moldus et de leurs stupides idées
Décembre 2002

-- Un psychologue, répéta Severus.

-- Oui, c’est quelqu’un qui -

-- Je sais ce qu’est un psychologue, répondit fraîchement Severus. Et je ne pense pas en avoir besoin d’un.

Irène leva les yeux au ciel et se laissa tomber dans son fauteuil favori, au coin du feu que Severus continuait à allumer par habitude.

-- Je sais, répondit-elle. Non, sérieusement, je sais, ajouta-t-elle comme Severus levait un sourcil ironique. Vous êtes le deuxième fantôme le plus équilibré que j’ai jamais rencontré. Et sans doute celui qui a le plus les pieds sur terre, précisa-t-elle en souriant. Mais j’ai une hypothèse que je voudrais tester.

Elle se pencha en avant et Severus l’imita inconsciemment. Les hypothèses de la jeune femme étaient toujours intéressantes.

-- Voilà. J’ai continué à m’intéresser à la raison qui maintient les fantômes par ici. Vous connaissez déjà certaines conclusions, les regrets concernant le passé, les raisons de la mort, les actions à rattraper, bla bla bla. (Elle balaya les évidences d’un geste large.) Bon. Je me suis intéressée aux fantômes qui avaient réussi à trouver la solution à leur problème, et j’ai constaté deux choses. D’abord, dans absolument tous les cas, ces individus souhaitaient partir et ont travaillé à trouver cette solution. Ca peut sembler évident, mais ce que je veux dire, c’est que personne ne l’a fait à leur place. Certains se sont fait aider, mais ils ont dû commencer la démarche d’eux-mêmes.

-- Ce qui signifie, dit lentement Severus, qu’il faut qu’ils soient décidés, ou plutôt prêts, à partir.

-- Exactement. Aucun fantôme ne peut partir s’il ne le désire pas vraiment. A moins d’être exorcisé, bien entendu.

Voilà qui ôterait peut-être une angoisse à Sir Nicholas.

-- Et ensuite ?

-- C’était le plus intéressant. Certains connaissaient la raison de leur présence, l’avaient résolue, et étaient encore là. (Elle se laissa aller dans son fauteuil avec un air satisfait.) J’ai réussi à bavarder avec deux d’entre eux. Ils m’ont confié que la partie la plus difficile n’avait pas été de terminer ce qu’ils avaient à terminer, ni même de trouver ce qu’ils avaient à terminer, mais de décider de chercher ce qu’ils avaient à terminer. Est-ce que vous avez décidé de chercher ce que vous aviez à terminer ?
Severus était adepte des questions directes, mais Irène le battait sur ce point.

-- Non, admit-il.

-- Ce n’est pas une décision consciente. C’est un blocage que vous avez à ce niveau, affirma-t-elle.

Severus fut sur le point de protester, puis considéra calmement la question.

-- C’est possible, reconnut-t-il.

-- Je n’en ai pas encore trouvé la raison, dit-elle en se resservant un porto. Je ne sais pas si c’est une étape obligatoire, comme cette période d’ataraxie que vous avez expérimentée au départ. Vous êtes un jeune fantôme, c’est pour cette raison que je voudrais voir si en forçant un peu votre esprit, vous seriez capable de dépasser ce stade.

-- Et si je n’en ai pas envie ? demanda-t-il avec un peu de sècheresse.

-- Vous êtes un chercheur, Severus. Bien sûr que vous en avez envie.

Il demeura impassible, mais la réponse de la jeune femme le secoua. Il reconsidéra calmement les quatre années précédentes. Il s’était plutôt bien adapté à sa condition de revenant, avait fait des efforts considérables pour maitriser le peu de magie qui lui restait, était parvenu à retrouver un semblant de vie - ah ah - et une occupation professionnelle, des relations sociales… Mais en effet, à chaque fois qu’il le penchait sur la véritable question - pourquoi ? - quelque chose le retenait. Il avait longtemps pensé qu’il désirait seulement profiter d’un moment de calme, mais Severus Snape se connaissait trop bien : il avait toute sa vie regardé les choses en face, ce n’était pas un petit décès qui allait changer sa véritable nature.

-- Enfoiré de sortilège, murmura-t-il.

-- Je ne sais pas s’il s’agit vraiment d’un sortilège, observa Irène. Peut-être plus quelque chose comme… une fatalité ?

-- C’est d’accord, dit-il brusquement.

Il venait de réaliser que d’un point de vue purement scientifique, il était en effet curieux de savoir ce qui le retenait.

###

Le psychologue, un ami d’Irène, s’appelait Isidore Tesla, était moldu, avait épousé une sorcière et faisait partie d’un programme de recherche sur le syndrome post-traumatique à Ste-Mangouste. Il avait dû avoir du travail ces dernières années, songea Severus en s’installant pour la première en face de lui.

Minerva avait mis à leur disposition une ancienne salle de classe après que Severus ait refusé tout net que les séances se déroulent dans ses appartements, et ils se tenaient maintenant face à face, installés dans de larges fauteuils.

Tesla, la quarantaine, petit, chauve et vêtu de tweed, toussota nerveusement et eut un petit sourire embarrassé.

-- Rassurez-vous, je ne vais pas vous poser de questions sur vos relations avec vos parents, plaisanta-t-il. Sauf si bien sûr le sujet a un lien avec notre problème, ajouta-t-il en voyant Severus se rembrunir.

Ce dernier soupira et réfléchit en s’efforçant d’être honnête envers lui-même.

-- Je ne pense pas. Je me suis fait une raison à ce sujet il y a bien longtemps.

-- Oh, très bien. Bon. Je n’ai pas une grande expérience de la psychanalyse des fantômes, mais je me suis dit que nous pourrions commencer en faisant la liste de tout ce que vous avez regretté au cours de votre vie. Par écrit, s’il vous plaît. Ne vous inquiétez pas, j’ai tout l’après-midi.

Severus agita la main et la plume posée à côté de lui se redressa.

Il avait une mémoire étonnamment nette de tout ce qui lui était arrivé depuis son enfance, avait-il réalisé. L’absence d’hormones et de composés chimiques propres à squatter son cerveau, peut-être.

Au bout de trois quarts d’heure, il fit flotter le parchemin vers Tesla.

-- Voyons, hum… « Tuer - » Oh. Bien, heu… Oh ! Vous avez voulu tuer beaucoup de monde, professeur Snape.

-- Avec raison, croyez-moi. Ce n’est malheureusement plus réalisable pour la totalité d’entre eux.

-- Des Mangemorts ? demanda Tesla d’une petite voix.

-- Et quelques anciens camarades de classe. Et je n’ai rien exagéré.

-- Bien. Voyons. « Empêcher le mariage de Lily. » « Empêcher la mort d’Albus. » Je ne pense pas que ce soit ce que nous cherchions. A moins que vous puissiez changer une des conséquences malheureuses de ces deux évènements.

-- Je ne vois pas, répondit Severus au bout d’un moment. A moins de tuer Harry Potter, ajouta-t-il sans frémir d’un zygomatique.

-- Mmh, non, oublions cette idée.

Severus s’était fait depuis longtemps une raison pour la plupart des regrets qu’il avait listés, et ils parvinrent à la fin de la colonne sans trouver de piste probante.

-- A moins que le blocage que soupçonne Irène vous ait empêché de noter la vraie raison de votre présence ici, déclara Tesla après quelques instants de silence, je pense qu’il va falloir nous orienter sur une autre piste. Je reviendrai la semaine prochaine. En attendant, je préfèrerais que vous ne songiez pas à la question.

Ce ne fut pas très difficile. Severus constata qu’à moins de se concentrer sur le sujet, il lui était très facile de l’ignorer et de flotter dans sa béatitude sarcastique.

A la séance suivante, Tesla lui demanda d’écrire ce qu’il voulait devenir quand il était enfant. Severus resta plus d’une demi-heure à contempler sa feuille. Finalement, il en fut incapable.

-- C’est peut-être un indice.

-- C’est peut-être simplement pathétique, cracha-t-il avant de quitter furieusement les lieux.
Tesla ne revint pas sur le sujet la fois suivante et lui demanda tout ce qu’il avait abandonné au cours de sa vie. Cette question-là était moins difficile.

Sa confiance. Sa famille. Sa fierté. Ses espoirs. Sa liberté. Son avenir. Son corps. Son libre-arbitre.

-- Mmh. Mmmmh… marmonna le petit homme en lisant rapidement.

-- Plutôt complet, n’est-ce pas ?

-- Non, non, c’est intéressant. Vous voyez, vous auriez pu mettre des mots comme « mes rêves », « ma joie » ou « ma volonté », mais vous n’avez mis que des choses qui vous ont été arrachées, pas des choses que vous avez données.

A moi, songea une partie très primitive de Severus. A moi.

-- Heu… dit-il, et il ne se souvenait avoir dit, une seule fois dans sa vie, « heu ».
A partir de là, il commença à faire davantage confiance à son confident imposé. Tesla appuyait souvent là où ça faisait mal, n’insistait pas, utilisait des méthodes farfelues et tirait des conclusions frappantes. Severus ignorait si tous les psychologues étaient censés travailler de cette manière et il en doutait. Mais pendant les mois suivants, à défaut de trouver la raison qui le maintenait encore là, il mit beaucoup de choses au clair avec lui-même.

Oh, il se connaissait bien, et il se cachait peu de choses. Mais pouvoir les exprimer, même succinctement, fut étrangement libérateur. (Il n’entra pas trop dans les détails. Il y a des choses qu’on ne raconte à personne, surtout si elles impliquent des sortilèges oubliés, des cachots sinistres et beaucoup de sang.)

A la fin de leur septième ou huitième entretien, alors qu’il remercia Tesla, Nicholas passa timidement la tête à travers la porte. Il ne dit rien mais regarda le petit Moldu avec insistance. Tesla lui sourit gentiment et lui fit signe d’entrer, et Severus s’éclipsa.

Ils arrivèrent cependant dans un cul-de-sac au retour de l’été suivant.

-- Ca n’a pas l’air d’être la solution, soupira Tesla à la fin de la séance. Bien entendu, je trouve toujours aussi fascinant d’interroger des revenants, et Sir Nicholas à l’air d’apprécier nos échanges, mais je ne pense pas que nous réussirons à trouver pourquoi vous êtes toujours ici de cette façon, professeur Snape.

Ils avaient en effet fait le grand tour de la vie de Severus, et ce dernier avait davantage avoué de choses que Dumbledore était jamais parvenu à lui arracher.

-- Soit le blocage est plus important que nous le pensions, soit vous n’êtes pas prêt, dans le sens où Irène l’entend, continua l’homme.

Severus tapota impatiemment des doigts sur l’accoudoir de son fauteuil.

-- Ce n’est pas par défaut de vouloir savoir, murmura-t-il.

Cette histoire commençait à sérieusement lui taper sur les nerfs. Severus n’aimait pas qu’on l’empêche de faire ce qu’il voulait, et encore moins qu’on l’empêche de savoir ce qu’il recherchait. Il avait été enseignant, chercheur et espion, par Merlin.

-- Il faut peut-être attaquer le problème de front, dit-il finalement.

Tesla frotta pensivement son crâne scintillant.

-- Que proposez-vous ?

Une idée extrême mais efficace germait dans le cerveau de Severus. Une idée contre laquelle tout son être se récriait, mais il n’était pas du genre à écouter un instinct qui n’était certainement pas le sien et des mauvais souvenirs qui ne lui apportaient rien. Il l’expliqua à Tesla, qui ouvrit de grands yeux, convint que ce serait très certainement intéressant mais aussi complètement fou et quitta les lieux avec dans le regard une lueur étrange. Severus supposa que ce n’était pas tous les jours que des psychologues moldus se voyaient présenter une telle occasion et partit écrire à Irène pour l’inviter à assister à l’expérience.

Minerva, quand il l’informa de ses intentions, commença bien entendu par s’y opposer.

-- Je ne vous laisserai pas faire une stupidité pareille, furent ses mots exactes.

Un peu de diplomatie était de mise.

-- Albus l’utilisait souvent.

-- Albus savait ce qu’il avait dans la tête et n’avait pas peur de se regarder en face. (Severus haussa un sourcil et Minerva se reprit.) Et je sais que vous en êtes aussi capable. Ou plutôt, que vous en étiez capable. Vous n’êtes plus exactement le même, Severus, reconnaissez-le.

-- Vous avez raison. J’ai un Lord Noir et cinquante Mangemorts en moins à gérer, ainsi qu’un vieux fou qui pensait tout savoir, répondit-il avec impatience.

Il n’ajouta pas qu’elle commençait à sérieusement lui courir sur le haricot elle aussi. Il se demanda pourquoi les gens qu’il aimait étaient aussi ceux qui l’énervaient le plus. (Potter se contentait de l’énerver, cependant.)

Finalement, elle craqua. L’avantage d’être mort, c’est qu’on n’a pas besoin de dormir, et Severus la poussa simplement jusqu’au bord de l’épuisement. Elle insista pour être présente.

Le mercredi suivant, ils se retrouvèrent donc tous les quatre dans la pièce où avait été remisé le Miroir du Risèd.

Severus contempla un moment l’objet recouvert d’un drap. C’était tellement bête qu’il n’y avait pas pensé plus tôt. Ou alors quelque chose avait voulu qu’il n’y pense pas plus tôt. Peut-être son instinct de survie - ah ! Le miroir était connu pour avoir rendu fou certains sorciers trop impétueux. Il n’en revenait toujours pas qu’Albus ait balancé Potter en face de lui alors qu’il n’avait que onze ans.

Ses trois compagnons se rangèrent soigneusement sur le côté alors qu’il saisissait le tissu. Aucun n’avait émis le souhait de regarder son reflet. Tesla fixait le miroir avec intérêt, mais aussi prudence ; Irène avait l’air légèrement angoissée ; Minerva, comme à son habitude, faisait de son mieux pour cacher qu’elle se rongeait les sangs.

Severus inspira et se plaça face à la glace. Puis il leva les yeux.

Ce n’était pas la première fois qu’il se plongeait dans le désir de son cœur. Onze ans plus tôt, après la malheureuse affaire où Quirrel avait perdu la vie, et permis le retour de Voldemort, il n’avait pas résisté en aidant Albus à ranger le miroir. La vieille bique ne l’avait d’ailleurs pas retenu.

Mais ce n’était plus Lily qui se tenait aux côtés de son reflet. Lily était morte et vengée, le fils de James Potter s’était malheureusement révélé un humain potable, Black et Lupin étaient morts en emportant les derniers lambeaux de sa jeunesse - et il était en train de verser dans le mélodrame, se reprit-il. Il ne regrettait plus Lily. Il y a des choses qui ne sont pas faites pour exister.

A ses côtés se tenait… quelqu’un. Une silhouette indistincte, sans visage, mais qui, Severus en était certain, souriait de toute son âme. Derrière eux se distinguaient d’autres personnes, sans formes précises, davantage des possibilités que de véritables individus. Son cœur étonnamment douloureux dans sa poitrine, il regarda une dernière fois sa Raison, puis se détourna.

Et grommela un juron dégoûté avant de se faire assaillir de question.

###

Irène rigola carrément.

-- Je suis désolée, Severus, dit-elle entre deux hoquets, je ne vous connais pas depuis si longtemps, mais ça semble tellement opposé à votre caractère !

Minerva semblait à la fois émue et amusée. Ecœurant.

-- Je suis sûre qu’Albus aurait été ravi pour vous.

Quant à Tesla, il avait déjà rempli quinze pages de notes.

-- Je n’aurais jamais pensé qu’un défunt veuille demeurer sur terre afin de trouver le Grand Amour, remarqua-t-il.

Severus retint un soupir exaspéré.

-- Ce n’est pas -

Il se tut devant l’enthousiasme romantique de ses trois comparses. Inutile. D’ici peu Minerva allait d’ailleurs sûrement commencer à jouer la marieuse et -

-- Bien entendu, vous avez peu de chance de rencontrer une personne de ce genre à Poudlard. Il va falloir vous trouver un moyen de sortir.

Et voilà.

-- Je pourrais organiser des échanges culturels entre le personnel de BeauxBâtons et celui de Poudlard…

Et Irène aussi.

-- Je suis certain que mes collègues seraient curieux de vous rencontrer, professeur Snape.

Severus jeta un regard meurtrier à Tesla.

-- Je suis un fantôme ! explosa-t-il. Transparent. Sans consistance. Lequel de ces mots vos petits cerveaux ne parviennent-ils pas à appréhender ?

-- Ca pourrait être un amour platonique, remarqua Irène.

-- Quel intérêt ? marmonna-t-il d’une voix un peu trop forte pour que Minerva ne l’entende pas.

-- Severus, s’il vous plaît, ordonna-t-elle d’un air outré.

Il roula des yeux.

-- Je suis peut-être un fantôme, mais un fantôme de 38 ans.

-- Vous éprouvez des besoins sexuels ? demanda Tesla d’un air passionné en continuant à prendre des notes.

D’accord, la conversation virait au grand n’importe quoi.

-- Là n’est pas la question, coupa-t-il. Qui verrait un intérêt à s’enticher d’un fantôme ? A l’exception de quelque adolescente à la cervelle pourrie de récits romantiques, ce qui ne m’intéresse, croyez-moi, aucunement.

-- Donc quelque chose vous intéresse, nota Tesla.

Severus se demanda s’il disposait d’assez d’influence magique pour lui arracher la tête.

-- Rien en particulier.

Minerva se leva et s’avança vers lui pour lui tapoter l’épaule. (Sa main passa bien entendu au travers, mais le geste était aimable.)

-- Votre avantage, Severus, c’est que vous disposez de l’éternité pour trouver chaussure à votre pied.

A suivre.

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