Chapitre 6 - Le calme avant…
Septembre 2017
Potter - dans son esprit, il était à présent ‘Potter’ ; Severus ne pouvait se résoudre à l’appeler ‘Albus’, son père avait été et resterait toujours ‘ce fichu Harry Potter’ et la première engeance de ce dernier ‘James Potter’, avec tout le dégoût qu’il pouvait insuffler au mot ‘James’ - n’abusa pas de sa proposition. A vrai dire, Severus ne le revit pas, à l’exception des repas où Potter bavardait avec animation avec ses collègues de Serpentard, avant un samedi après-midi vers la fin du mois de septembre.
Il était plongé dans une nouvelle pile de formulaires quand on frappa à la porte. Les elfes de maison ne frappaient pas, et les coups de Sinistra étaient bien plus affirmés, aussi ne fut-il qu’à moitié surpris quand Potter poussa la porte suite à sa réponse. Ce qui le surprit fut le plateau chargé d’une théière et de deux tasses que le gamin portait avec précaution.
- Sir Nicholas m’a dit que vous faisiez ordinairement une pause vers cette heure-ci, babilla-t-il.
Severus lui désigna silencieusement le bureau, et profita de sa concentration pour l’observer à son aise. Oh, oui, Potter, avec ses grands yeux et son visage fin, était un manipulateur né.
- Merci.
- Je vous en prie. Mais vous ne devez pas vraiment boire de thé, n’est-ce pas ?
- J’en apprécie le parfum.
Ils sirotèrent leur première tasse en silence. Severus guettait avec intérêt les premières paroles du garçon, mais Potter se contentaient de regarder autour de lui, bien trop à l’aise.
- Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous, M. Potter ?
Le morveux lui jeta à nouveau son sourire sincère à la figure.
- Oh, non. Tout se passe très bien, je vous remercie. Je voulais juste vous remercier, vous savez, pour l’autre soir.
Potter se tenait bien droit sur sa chaise et Severus observa avec attention ses doigts tambouriner l’accoudoir. Bah, il s’était sacrifié tant de fois, il pouvait bien accorder dix minutes à un gamin qui 1. Portait son prénom et 2. Avait failli devenir son filleul.
- Puis-je vous demander comme se sont déroulées vos premières semaines ?
Potter eut l’air absolument ravi et commença à parler.
Ordinairement, Severus n’écoutait pas ses élèves. Leurs observations en classe étaient systématiquement pathétiques, ou ennuyeusement exactes - il avait encore des souvenirs pénibles de Granger - et leurs conversations ne présentaient absolument aucun intérêt. Ce fut donc d’une oreille distraite qu’il commença à suivre le flot de paroles qui se déversait de la bouche de Potter. Il nota cependant qu’il semblait bien s’entendre avec Scorpius Malfoy, que son frère avait encore bien trop d’influence sur lui - son intonation peinée en parlant de ce cher James lui hérissa légèrement l’ectoplasme - et qu’il soufflait d’un cœur brisé typiquement Weaslesque de se retrouver séparé de sa cousine Rose. (Cousine qui, d’après les commentaires de professeurs, ne possédait pas que la moitié d’une cervelle. Sans doute aussi pontifiante que sa mère.)
- Vous ne m’écoutez pas vraiment, n’est-ce pas ? enchaîna le jeune garçon à la suite d’une description de son dernier cours de Métamorphoses.
Il ne semblait cependant pas vexé et penchait la tête sur le côté, une habitude qu’il semblait avoir et que Severus trouvait particulièrement… non, pas mignonne. Finaude. Voilà.
- J’ai malheureusement d’autres sujets de préoccupation, et peu d’intérêt pour le récit de leçons que j’ai moi-même reçu il y a plus de quarante-cinq ans.
- Vous êtes si vieux que ça ? s’exclama Potter. Excusez-moi, se reprit-il en rougissant alors que Severus haussait un sourcil.
- Peut-être que quand vous atteindrez mon âge vous ne vous sentirez pas si vieux. Et peut-être que quand vous dépasserez mon âge, ajouta Severus avec satisfaction, vous constaterez que je n’aurai pas, contrairement à vous, pris une ride.
Sa réflexion fit rire Potter.
- C’est comment d’être un fantôme ? demanda-t-il en se penchant en avant, et il n’avait plus l’air que d’un enfant curieux.
Severus répondit succinctement à ses questions innombrables et constata après un quart d’heure que le dernier Potter ne semblait pas du genre à se démotiver par un manque de participation.
- Est-ce que c’est le professeur Dumbledore ? s’exclama finalement son jeune visiteur en se désignant le portrait où Albus sommeillait paisiblement.
Ou faisait semblant de sommeiller.
- Ne montrez pas du doigt, dit machinalement Severus. En effet. Je suppose que votre père vous a parlé de lui ?
- Il a dit que c’était un enfoiré - Potter prononça le mot avec délectation - et une vieille bique manipulatrice.
Severus laissa un rictus carnassier retrousser ses lèvres tandis que la respiration du vieux sorcier s’arrêtait brusquement.
- Votre père a une certaine tendance à l’exagération, mais il y a du vrai dans ce qu’il dit, confirma-t-il d’un ton suave. Cependant Potter, si vous je vous entends encore une fois prononcer le mot « enfoiré » dans ce bureau et manquer de respect au professeur Dumbledore, vous le regretterez, ajouta-t-il sur le ton de la conversation.
Le garçon déglutit.
- Vous êtes fâché ? demanda-t-il au bout de quelques minutes de silence.
- Non, monsieur Potter. Vous possédez une certaine capacité à choquer les gens, mais vous seriez encore plus attrayant si vous appreniez à penser par vous-même.
L’enfant plissa les yeux.
- Vous voulez dire, ne pas répéter ce que me dit mon père ?
- Exactement. J’ignore si vous êtes déjà passé par la douloureuse réalisation que les adultes n’ont pas toujours raison, qu’ils sont sujets aux mêmes incertitudes et capables des mêmes irresponsabilité et immaturité que leurs cadets…
- George et Ronald Weasley sont mes oncles, vous savez.
- Vous pouvez donc comprendre que votre père est la victime d’un petit ressentiment envers le professeur Dumbledore.
- Il l’aime aussi beaucoup, reconnut le jeune garçon.
- Tout à fait.
- Mais il dit que tout le monde l’aimait beaucoup, alors qu’il était beaucoup moins gentil que ce que les gens pensaient. Et il dit que c’était l’inverse pour vous.
- C’était une période difficile et nous avions tous besoin de mentir, dit sèchement Severus.
Potter n’insista pas. Du moins pas cette fois.
Il prit l’habitude de repasser deux ou trois fois par mois et Severus constata avec curiosité qu’il faisait des efforts pour soutenir une conversation intelligente, au lieu de babiller sur tout et rien. Il se demanda si le gamin voulait l’impressionner. Si oui, il y parvenait presque. (Le fait qu’il appréhende la notion de conversation intelligente avait déjà de quoi intriguer Severus.)
Potter était intelligent, mais pas de cette intelligence encyclopédique qui faisait l’apanage des Granger ; pas, également, de cette intelligence sociale instinctive souvent gaspillée sous l’assaut des hormones adolescentes, comme son frère ; ni de cette ingéniosité chafouine que les Serpentards confondaient souvent avec les capacités intellectuelles.
Potter avait l’intelligence curieuse, modeste et humoristique que Severus recherchait et redoutait chez tous ses élèves. Une intelligence qui pouvait mener à des hommes sages ou des individus aigris et pleins de fiel. Une intelligence qui pouvait mener à des Dumbledore ou des Seigneurs des Ténèbres.
Une intelligence encore immature, mais les critères de directeur de Poudlard étaient sévères, et il avait déjà rencontré des sorciers adultes plus stupides que sa nouvelle petite connaissance.
Leurs entretiens provoquèrent bientôt quelques rumeurs, mais comme Potter se trouvait chez Serpentard et que son fameux paternel et Severus entretenaient - en public - une entente amicale, les commentaires se contentèrent d’être étonnés au lieu d’être agressifs. Et puis, Severus Snape était un fantôme. Un fantôme ne pouvait pas réellement faire de mal, même à un enfant.
Severus était parfois abasourdi par l’aveuglement volontaire de l’espèce humaine. Il aurait été si facile de se glisser dans la tête du garçon, de le modeler… Heureusement, quelque chose qui ne l’avait jamais intéressé, contrairement à Voldemort - et un peu Dumbledore, parfois.
Un samedi un peu avant Noël, alors qu’il regagnait son bureau après un petit incident impliquant James Potter, le calamar géant du lac et une quinzaine de feux d’artifices de chez Farces pour Sorciers Facétieux - l’épisode s’était terminé de façon satisfaisante ; les pustules subsisteraient encore deux semaines, suite à une potion légèrement inefficace que Severus rangeait spécialement dans son armoire ‘James Potter’ - il trouva Potter en grande conversation avec le portrait de Dumbledore. En tant que revenant, Severus n’avait pas à ouvrir les portes et pouvait se rendre partiellement transparent. En tant qu’ancien espion, il était doué pour se tenir dans un coin sans bouger.
- … mais pourquoi, à la fin, il n’a pas dit au professeur McGonagall pourquoi il vous a tué ?
- Il avait encore besoin de pouvoir approcher Lord Voldemort. Il fallait qu’il joue son rôle jusqu’au bout, pour que ton père puisse accomplir ce qu’il avait commencé.
- Mmh, ça ne semble pas très juste.
- Certaines choses sont rarement justes.
Severus ne pouvait voir le visage de Potter mais en voyant son dos droit, ses poings serrés, il pouvait deviner son petit visage renfrogné.
- Les choses n’ont pas été justes pour ton père non plus, remarqua Albus.
- Oui, mais lui il est toujours vivant, répondit l’autre Albus d’un ton buté. Et il a maman, et James et Lily et moi.
- Le professeur Snape a Poudlard.
- C’est pas pareil.
Severus se racla la gorge. Albus leva sur lui son regard pétillant et Potter se tourna avec une expression impassible.
- Severus, mon enfant ! lança Albus avec délice.
- Albus. J’espère que vous n’êtes pas en train de conduite Potter au coma diabétique, dit-il sèchement en regardant le berlingot géant que l’enfant tenait à la main.
- Monsieur Potter est un jeune homme très raisonnable qui prend tout son temps pour savourer une friandise qu’il a accepté par politesse, répondit joyeusement le vieux fou. Asseyez-vous, asseyez-vous. Oh, mille excuses. Il m’arrive d’oublier que je ne suis plus dans mon bureau, lança-t-il malicieusement à Potter. Un grand défaut de l’âge.
Le garçon se contenta d’un sourire poli. Severus fut surpris de constater à quel point il était fier de la méfiance naturelle de l’enfant.
- Puis-je me joindre à la conversation ? demanda-t-il avec un peu d’ironie en s’installant dans son fauteuil.
- Oh, nous parlions des évènements qui ont eu lieu vingt ans plus tôt, continua Albus. Al me racontait que le Ministère a annoncé un jour férié commémoratif pour le 8 mai prochain.
- Le jour de la reddition officielle des Mangemorts ? calcula Severus.
Bien entendu, comptez sur ces abrutis pour éviter soigneusement le 6 mai, date de la victoire finale d’Harry Potter sur Lord Voldemort.
- Ils auraient dû choisir le 6 mai ! protesta férocement Potter comme s’il avait lu dans ses pensées.
Severus haussa un sourcil.
- Je ne pensais pas que l’idolâtrie paternelle faisait partie de vos défauts, monsieur Potter.
L’enfant roula des yeux. Severus songea qu’il perdait irrémédiablement de son autorité.
- C’est le jour où tout le monde à Poudlard s’est battu, non ? C’est de ça qu’on devrait se rappeler.
Les deux autres sorciers le fixèrent quelques secondes, cois.
- Severus, dit finalement Albus avec un peu plus de sérieux, je crois que ce garnement vient de nous remettre à notre place.
Severus poussa un grognement.
Le garnement en question avait raison, songea-t-il au cours des semaines suivantes. C’était le courage des enseignants, enfants, parents et sorciers ordinaires qui avait permis la fin de cette guerre, pas les actions des Aurors et du Ministère au cours des jours qui avaient succédé à la dernière bataille.
Severus décida donc d’organiser sa propre fête commémorative, à Poudlard, le 6 mai.
Le lendemain de son annonce, le jour de la rentrée d’hiver, une avalanche de courriers lui tomba dessus. Le Ministère le convoquait immédiatement, oubliant une fois de plus qu’il ne pouvait quitter le château. Il ricana. Les journalistes demandaient des précisions, particulièrement s’il s’agissait d’un geste de défi envers Shakebolt et son équipe. Severus jeta distraitement leurs lettres. Enfin de nombreux parents, anciens combattants, amis, le félicitaient de sa décision et demandaient si la fête était ouverte aux familles des élèves, aux amis des familles, à la famille des amis, et à tous ceux qui voulaient venir en général.
Severus se laissa retomber dans son fauteuil en se demandant s’il avait déclenché une guerre civile. Encore la faute d’un Potter tout ça.
Il contacta le Ministre lui-même afin de mettre les choses au clair. Shakebolt était intelligent et comprit ce qui se passait ; ils conclurent après une heure de mise au point de conserver la fête et le jour férié. La première resterait liée à Poudlard, le second porterait le sceau de l’officialité. Severus savait qu’Harry Potter ne portait aucune attention à ce genre de chose. A vrai dire, il devait très certainement préférer que l’on ne se rappelle pas la fin de Voldemort sous la forme de fête nationale.
Le 6 mai tombait un dimanche. Severus annonça à ses élèves un congé exceptionnel se prolongeant jusqu’au mardi 8, la possibilité de rester à l’école durant ces quatre jours et d’inviter leurs familles par la même occasion. Familles moldues comprises. Il crut devenir sourd sous les hurlements de joie qui suivirent. Honnêtement. Perdant clairement l’esprit, Londubat l’avait même serré dans ses bras. Enfin, avait tenté avant de reculer d’un pas en frissonnant.
-- J’ai quelques propositions pour la fête, lui annonça le lendemain Potter avec un air très sérieux en lui tendant une liste.
Le gamin avait une écriture déplorable, constata Severus en la parcourant rapidement des yeux.
-- Non. Non. Non. Peut-être. Non. Non. Non.
-- Des feux d’artifice sont parfaitement envisageables, protesta Potter qui, en plus, était capable de lire à l’envers et suivait la progression de son Directeur au travers de ses suggestions.
-- Pas s’ils sont fournis par votre oncle. Non. Non. Non. Des dragons, sérieusement, monsieur Potter ?
-- C’est une grosse fête, dit gravement le garçon. J’ai des connexions. Je peux vous obtenir un Boutefeu Chinois.
Amusé, Severus regarda le morveux qui semblait plongé dans des calculs savants et dont les lèvres s’agitaient rapidement.
-- Laissez votre autre oncle en dehors de ça. Et une reconstitution historique serait de mauvais goût, ajouta-t-il en reprenant le parchemin.
Cette année-là, la Journée Commémorative de Poudlard attira plus de visiteurs que la Coupe du Monde de Quidditch.
Severus s’ennuya un peu pendant l’été. Le Ministère avait fini par lui ficher complètement la paix.
La rentrée revint et les visites de Potter reprirent. Le garçon était de plus en plus brillant et un véritable chaudron sous pression prêt à exploser.
-- Non, disait une fois de plus Severus. Il est hors de question que les Deuxième Année aillent réaliser leurs travaux pratiques dans la Forêt Interdite.
-- D’accord, d’accord, soupira Potter avec mauvaise humeur.
-- Je suis sérieux, Potter ! rugit-il. Pas de petites escapades en douce où vous comptez ne pas vous faire prendre ! S’il vous arrive quoi que ce soit dans la Forêt, personne ne sera là pour vous aider. Et croyez-moi, on y rencontre bien pire qu’un simple troll !
Le garçon baissa la tête, cette fois sincère.
-- Oui monsieur.
Il aurait sa peau, songea Severus. Ou du moins son ectoplasme.
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Cependant, c’est lui-même qui causa le premier incident. Il tenta de se remémorer la conversation qui avait malheureusement tout provoqué tandis que le grand petit Harry Potter le fixait d’un regard furieux, planté au milieu de son bureau, les bras croisés.
-- Ne faire confiance à personne ? avait répété Potter fils, interloqué, le samedi précédent.
-- Que préférez-vous ? avait rétorqué Severus. Constater brutalement qu’une personne en qui vous aviez toute confiance vous a trahi, ou garder le contrôle ? Chacun possède au moins une faiblesse qui peut le pousser à retourner sa veste.
Potter s’était buté.
-- Vous ne pouvez pas passer votre vie sans faire confiance à personne ! avait-il crié.
-- Pourquoi ?
-- C’est… c’est triste !
Severus avait ironiquement haussé les sourcils, mais pour une fois le petit Potter n’avait pas battu en retraite et avait continué de le fixer d’un air furieux, légèrement tremblant.
-- Ce n’est pas triste, avait soupiré Severus. C’est même plutôt pratique pour pardonner ensuite. Puisque vous saviez à quoi vous attendre.
Mais le gamin avait refusé de l’écouter, il était parti avec les yeux étrangement brillants, et Severus avait dû le traumatiser plus que prévu pour que son père rapplique au galop quelques jours après.
-- Snape, Al a seulement douze ans ! repartit Potter père alors qu’il restait silencieux. Vous ne pouvez pas apprendre à un enfant de douze ans qu’il a de meilleures chances de survie s’il ne fait confiance à personne.
Ce n’était pas une question de survie, ronchonna intérieurement Severus. Juste une question de bon sens. S’il avait fait confiance à toutes les belles paroles qu’on lui avait jamais dites… paroles qui provenaient généralement de Mangemorts, d’Aurors et d’un Directeur particulièrement ennuyant… peut-être était-il légèrement biaisé, musa-t-il.
-- Il n’est pas dans la situation où nous nous trouvions il y a vingt ans, continuait à déblatérer Potter II. Il a une vie normale, avec des amis normaux, une famille normale -
-- J’ai saisi, Potter, coupa sèchement Snape. Vous avez raison. J’ai parfois tendance à oublier l’âge de votre rejeton au profit de sa finesse. Sans doute l’étourdissement de converser avec un Potter intelligent.
-- Oh, dit Potter. Hé !
Le compliment et l’insulte bataillèrent un instant sur son visage, puis il sourit.
-- Il est malin, hein ? demanda-t-il avec toute la fierté paternelle absurde qu’il se pouvait humainement exprimer.
Urgh, songea Severus, dégoûté.
-- Je suppose qu’il y a une limite aux désastres génétiques que vous pouviez engendrer.
A sa grande satisfaction son ancien élève ne chercha pas à défendre son aîné.
-- Attendez de voir Lily, le prévint-il cependant. Bon. Plus de conseils de vie sombres et dépressifs, le menaça-t-il. Ni réalistes. Je me méfie de votre notion de réalisme.
-- Sinon quoi, vous me ferez arrêter par vos Aurors ?
-- Ne faites pas votre mauvaise tête.
Severus n’ajouta rien. Il ne pensait pas que Potter ordonnât à Albus de ne plus le visiter, mais on ne savait jamais.
Le samedi suivant, il y eut quelques coups timides à la porte et le garçon pénétra presque à reculons dans le bureau.
-- C’est votre père qui vous a demandé de repasser ? s’enquit Severus sans lever les yeux du rapport qu’il parcourrait.
-- Non, dit Potter en s’asseyant à sa place habituelle. Mais je n’aime pas quand vous me parlez comme la dernière fois. C’est souvent comme ça.
Severus fut intrigué.
-- Comme quoi ?
-- Comme si personne ne tenait à vous et comme si vous en étiez content. Ca ne me plait pas, déclara le gamin en faisant apparaître avec pas mal de brio un plateau de thé.
Severus contempla un instant les scones fumants.
-- C’est une mauvaise habitude que j’ai du mal à perdre, dit-il finalement, doucement.
-- Humph, répondit Potter en enfournant un gâteau dans sa bouche.
Il parvint à se retenir deux secondes, puis lui lança son sourire habituel. Les miettes entre ses dents gâchaient quelque peu l’effet et le rendaient en même temps hilarant. Severus fit semblant d’avaler sa tasse de thé de travers.
-- Vous ne pouvez pas vous étouffer, vous savez, observa Potter en reprenant un biscuit.
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Lily Potter arriva l’année suivante, et Severus, malgré lui, fut soulagé de constater que malgré sa chevelure flamboyante ses yeux n’étaient que bruns et qu’elle ne ressemblait absolument pas à sa défunte grand-mère maternelle. Il y avait assez de fantômes dans sa vie pour y ajouter celui bien vivant d’un amour qu’il avait enfin réussi à dépasser.
En plus, cela aurait été totalement inapproprié et Harry Potter aurait eu sa peau, revenant ou pas.
-- Vous n’avez pas des devoirs à faire ? demanda-t-il à Potter un mardi soir aux alentours de la Toussaint.
L’invasion de ses moments de solitude s’étendait à présent au samedi et à au moins deux soirs par semaine.
Le gamin, qui avait enfin commencé à grandir un peu après deux années de nanisme aigu, leva un œil impassible de son manuel de Métamorphoses Avancées.
-- Non.
Severus soupira et retourna à ses comptes-rendus tandis que son visiteur continuait tranquillement sa lecture.
D’autres mois passèrent, pendant lesquels James Potter continua à ravager son école, Albus Potter continua à tenir sa compagnie pour acquise et Lily Potter commença à faire des ravages dans le cœur d’à peu près l’ensemble des résidents de Poudlard. Severus resta plus d’une fois effaré l’observant en compagnie de sa cousine. Rose Weasley était une sorte de redoutable hybride d’Hermione Granger et de Molly Weasley, et pouvait tenir tête à n’importe qui - sauf Severus, bien entendu - mais Lily Potter avait un don pour se rendre adorable.
Oh, oui. Le règne planétaire Weasley s’annonçait proche.
Les visites d’Al ne diminuèrent pas pendant sa quatrième année, mais son frère se calma légèrement, sans doute conscient du savon qui l’attendait s’il ne réussissait pas ses OWLs. Au grand dégoût de Severus, il les passa haut la main, et Potter cadet dût lui suggérer un ingrédient particulièrement astucieux pour l’une de ses potions pour enfin lui remonter le moral.
Quelques jours avant le départ des élèves, il pénétra dans son bureau avec l’expression légèrement ennuyée qu’il arborait quand il ne saisissait pas entièrement quelque chose.
-- J’ai embrassé Scorpius, annonça-t-il tout de go et Severus constata qu’après toutes ces années il parvenait encore à être médusé.
-- Hurm, dit-il.
-- Je suppose que je dois être homosexuel, conclut philosophiquement Albus Severus Potter.
-- Gnh, ajouta Severus. (Merlin, il pouvait faire mieux que ça.) J’ignore les conclusions de votre expériences, mais cela me semble une supposion logique, prononça-t-il d’un ton qu’il espérait calme et sage.
-- Oh, c’était très bien. Mais je pourrais être bisexuel, remarqua Potter en fronçant les sourcils. Maman serait sans doute plus contente si je lui ramenais une belle-fille qu’un gendre, marmonna-t-il pour lui-même.
-- Pardonnez-moi, Potter, mais je ne pense pas que l’opinion de madame votre mère ait une quelconque importance dans le choix de la personne qui partagera le reste de votre vie, s’entendit dire Severus.
Ah, il parlait trop vite. Potter le regardait d’un air curieux.
-- Ah ! dit l’insupportable gamin d’un ton satisfait. J’avais raison. Vous avez un cœur caché quelque part par là.
Severus lui lança son regard ‘vous-allez-trop-loin-Potter’ qu’il avait eu le temps de peaufiner en trente ans. Malheureusement, Al s’était immunisé au cours de sa troisième année. Le garçon se pencha au-dessus du bureau.
-- James prétend que vous étiez amoureux de ma grand-mère. Pas Mamy Molly, ajouta-t-il avec une grimace, la mère de Papa. Lily.
Il ne demanda si c’était vrai, mais se contenta de l’observer de ses yeux attentifs en amande. D’ici quelques années, il serait attirant, constata Snape. Dans le genre hautes pommettes, regard innocent et lèvres retroussées en un sourire ‘je-suis-trop-intelligent-pour vous’. Severus avait déjà de plus en plus de mal à lui dissimuler quoi que ce soit.
-- C’est vrai, admit-il.
Al réfléchit quelques instants à sa prochaine question.
-- Vous l’êtes toujours ?
-- Non.
-- Mmh. Et en trente ans, vous avez été amoureux de quelqu’un d’autre ?
-- Rien de sérieux.
-- Mmh, répéta Potter. Bon, enchaîna-t-il, vous pensez qu’il y a un moyen de dire à Scorpius que c’était agréable, mais que je ne suis vraiment pas amoureux de lui ?
Severus songea à son deuxième presque-filleul qui, sous son air froid, cachait hélas un cœur bien trop tendre et répétitivement brisé.
-- Je pense, maintenant qu’il a réalisé quelques petites choses à son propre sujet, que vous pourriez détourner son attention si vous parveniez à lui faire réaliser l’existence de M. Thomas Pétri dont les yeux semblent être collés à son postérieur.
-- Vous réalisez que vous parlez de deux de vos élèves de quatorze ans ? le taquina Al.
Il devrait présenter Al à Irène. Ils s’entendraient magnifiquement.
-- M. Potter, il y a bien longtemps que j’ai perdu mes illusions à propos de certains sujets. Et, par chance, le monde sorcier n’est pas si sévère avec les individus attirés par leur propre sexe.
Scorpius passa sa Cinquième Année dans une béatitude que même son meilleur ami trouva écœurante. Le meilleur ami en question battit nonchalamment tous les records de réussite aux OWls et le portrait d’Albus Dumbledore sembla bouder quelques jours. Severus se demanda en quelle sorte de papillon allait pouvoir éclore le cocon qu’était Albus Potter.
A suivre