[Écrit le 9 mars 2006, corrigé le 11 juin 2008]
Arnaud posa sur la table de la cuisine le gâteau au chocolat fait par sa mère tandis que les jumeaux donnaient à chacun une assiette à dessert et une petite cuillère. Usant de son droit d’aînesse en l’absence de Marc, Arnaud découpa le gâteau et distribua les parts. Il servit Quentin en premier et reprit le fil de la conversation :
« Ça va peut-être être chouette cette fois-ci mais vous oubliez qu’il n’y a jamais personne à la fête de fin d’année ! Le vendredi après-midi des vacances, tout le monde n’a qu’une hâte, c’est de se casser.
- Cette année, ça va être différent ! s’exclama Emmanuel.
- Oui ! renchérit Nicolas. Parce que cette année, on fait partie du spectacle ! »
Quentin étouffa son rire dans sa part de dessert.
« J’en ai touché deux mots à Marc l’autre jour, fit Arnaud en remontant ses lunettes, et il a dit, je cite : " Quoi ? Ma présence dans le public n’est pas une attraction suffisante ? " »
Emmanuel renifla.
« Alors celui-là ! Il quitte carrément la région pour poursuivre ses études et il croit pouvoir encore exercer sa suprématie sur le bahut !
- Ben… il a pas tout à fait tort non plus », signala Quentin.
Nicolas leva les yeux au ciel.
« Il est temps de laisser la place à d’autres Langaret, affirma-t-il.
- Très bon slogan, approuva Arnaud avec l’un de ces sourires dont lui seul avait le secret.
- Quel dommage que tu nous quittes toi aussi l’année prochaine… » déplorèrent faussement ses petits frères.
Quentin se mordit la lèvre pour ne pas rire. Laisser le collège (puis le lycée) aux mains des jumeaux, il craignait presque ce que ça allait donner…
Marc Langaret avait dû être le premier nom qu’il avait entendu à son arrivée au collège en Cinquième, avant même de connaître celui de ses professeurs. Malgré l’obtention de son Bac quelques années auparavant, Marc Langaret restait encore à ce jour légendaire.
Arnaud avait suivi de peu, s’il se souvenait bien. L’adolescent était connu, entre autres choses, pour avoir fait exploser le nombre de demandes pour la filière ES par le simple fait de l’avoir choisie. Car si un Langaret, si Arnaud Langaret, allait en éco… Quant aux jumeaux, si inséparables qu’il avait mis du temps avant de connaître leur prénom respectif, ils marchaient fièrement sur les traces de leurs aînés. Depuis Marc, les professeurs se battaient littéralement pour avoir un Langaret dans leur classe ; c’est du moins la rumeur qui courait, et pour partager la classe de Nicolas et Emmanuel cette année, Quentin était tout près à la croire véridique.
Il avait été très intimidé lorsque, l’année précédente, il avait appris qu’il allait suivre le même cours de judo que les célèbres jumeaux Langaret. Ç’avait été en cherchant parmi les élèves de qui il pouvait bien s’agir qu’il avait trébuché bien malencontreusement sur ses lacets et s’était étalé par terre, aux pieds de Nicolas justement. Les jumeaux avaient dû s’y mettre à deux pour l’aider à se relever et l’accompagner à l’infirmerie tant ils se tenaient les côtes de rire : Quentin s’était foulé le poignet en tombant.
Les premiers temps, il avait craint de développer un complexe d’infériorité face à ses nouveaux amis mais à son grand soulagement, il n’en avait rien été. Toutes les raisons du monde étaient réunies, pourtant, mais avant d’avoir compris comment il avait été littéralement adopté par toute la famille et les Langaret étaient tous trop tout pour ne pas se sentir à l’aise parmi eux. D’ailleurs, il soupçonnait le fait de se retrouver avec les jumeaux pour leur Quatrième n’être pas totalement dû au hasard…
« Marc arrive quand au juste ? » demanda-t-il.
Les trois frères haussèrent les épaules avec une parfaite synchronisation.
« Alors ça, avec Marc…
- Il a dit qu’il serait présent pour la fête, ajouta néanmoins Arnaud, donc vendredi aprèm au plus tard. »
Nicolas ramassa les miettes de chocolat dans son assiette et se suça le doigt pensivement.
« Il faudrait être sûr que les gens viendront… que l’attraction soit immanquable !
- Vous allez chanter, souligna Quentin. Je crois qu’en soi, ça vaut le coup de regarder. »
Nicolas eut un sourire inquiétant, un sourire qui rappelait un peu Marc - ou Arnaud - dans ses meilleurs moments.
« Tu vas chanter avec nous, tu sais ? »
Quentin pâlit.
Chanter ? Se ridiculiser devant tout le monde, devant Loïc ?
« Jamais ! … Je veux dire… et risquer de tomber de la scène et de me casser quelque chose la veille des vacances de Noël ? Vous ne seriez pas cruels à ce point, n’est-ce pas ?
- De notre point de vue, c’est plus dangereux pour toi d’être dans le public. Tout ce monde… contra Emmanuel
- Au moins sur scène, tu nous as pour te rattraper ! renchérit Nicolas.
- On est rodés, maintenant !
- D’ailleurs, tu restes dormir à la maison ce soir, il faut qu’on répète !
- Mais je…
- Ta mère est déjà prévenue, on a sa bénédiction, l’acheva Manu.
- Encore un peu de gâteau au chocolat, Quentin ? » lui proposa Arnaud avec un petit sourire aux lèvres.
L’adolescent gémit mais tendit néanmoins son assiette. Peut-être qu’avec un peu de chance Loïc ferait partie des gens à ne pas venir… même si c’était peu probable. Quentin savait qu’il ne pouvait pas trop y compter : Loïc était le meilleur ami d’Arnaud après tout.
Pourquoi moi ?
« Allez ! Hauts les cœurs ! On va avoir un succès monstre, je le sens ! » s’enthousiasma Nicolas.
Quentin l’ignora.
« Tu participes cette année, Arnaud ? demanda-t-il.
- Oui et non. Je ne monte pas sur scène. Loïc et moi supervisons le spectacle. »
Quentin gémit de plus belle.
« Je peux pas vous aider ? Tu es rodé toi aussi, tu m’empêcheras de…
- Te prendre les pieds dans les fils ? offrit Manu.
- Entrer dans les poteaux ? proposa Nicolas.
- Trébucher sur l’estrade ?
- Non, attends, Quentin n’a pas besoin d’avoir une estrade pour trébucher ! Le vide lui suffit !
- C’est vrai. D’ailleurs, il faudra particulièrement faire attention à lui, qu’il ne le blesse pas juste avant le spectacle ! Il serait presque capable de le faire exprès, et tu sais comment il est quand il est nerveux !
- On devrait le garder à la maison la veille, c’est plus sûr.
- Oui, on n’est jamais trop prudent avec Quentin, approuva Emmanuel en hochant la tête avec gravité.
- Dites, les gars… tenta vainement le principal concerné.
- Je téléphone à ses parents pour les avertir, » décréta Nicolas.
Il se leva de table. Quentin tourna un regard suppliant vers Arnaud.
« S’il te plaît ? Help ? »
Arnaud pencha légèrement la tête sur le côté mais son petit frère accapara de nouveau l’attention de son ami. Il se demandait dans quelle mesure Quentin voulait échapper au spectacle et dans quelle autre il voulait simplement passer du temps aux alentours de Loïc…
Il doutait que Loïc et Mathieu profitent de l’occasion pour s’afficher en couple mais Quentin ne manquerait pas de les voir ensemble malgré tout. Le risque que ce dernier ne se montre pas aussi aveugle que Loïc l’était à propos de l’adolescent était grand. De plus, si Loïc n’officialisait pas sa relation avec Mathieu ce jour-là, il le ferait certainement lors de la fête familiale et amicale que les Langaret donnaient chaque année pour le 31 décembre.
Pauvre Quentin, Arnaud en avait le cœur serré d’avance pour lui.
Arnaud tournait et retournait le problème dans sa tête mais ne voyait pas de solution. Même s’il n’y avait pas eu Mathieu (et ç’eut été difficile, son meilleur ami ayant décidé deux ans auparavant que Mathieu deviendrait son petit ami lorsqu’il serait en Seconde), Loïc voyait Manu et Nico comme ses propres petits frères et Quentin était surnommé « le troisième jumeaux ». Il était difficile, impossible même, de ne pas s’attacher à Quentin. Arnaud se demandait s’il devait essayer de le préparer à la déception qu’il ne manquerait pas de ressentir mais il n’avait pas non plus le cœur à ça.
Et vraiment, il se demandait comment Loïc pouvait ne pas se rendre compte que Quentin avait le béguin pour lui. Cette façon que Quentin avait de rougir dès que Loïc le regardait ou lui souriait, cette incapacité à aligner deux phrases cohérentes et surtout, cette maladresse excessive, même pour lui ! Non, vraiment, l’aveuglement de Loïc dépassait l’entendement. Ou bien était-ce qu’il était lui-même trop amoureux de Mathieu pour regarder autour de lui ?
« Tout ça ne résout pas notre problème de manque de public ! reprit Nicolas, de retour dans la cuisine. On devrait peut-être organiser une campagne publicitaire ? Au fait, Quentin, j’ai eu ton père : y’a pas de problème, tu dors à la maison jeudi.
- Oh ! Je sais ! » s’exclama Emmanuel, coupant la réponse de Quentin.
Tous le regardèrent dans l’expectative. Emmanuel leur adressa un sourire qui annonçait l’idée du siècle.
« On a qu’à répandre la rumeur que Gaël Le Pernaud fera un strip-tease en première partie ! »
Ses deux frères et Quentin froncèrent les sourcils.
« Gaël ? Le type qu’est mannequin ?
- Il voudra jamais ! » s’exclama Quentin.
Emmanuel eut un sourire à la Marc.
« Il n’est pas obligé de le savoir… »
Nicolas se mit à rire.
« Quoi ? se défendit son frère jumeau. Ce type doit bien savoir faire autre chose que sourire devant l’objectif et signer des autographes dans les couloirs du bahut, non ?
- Manu est jaloux, expliqua Nicolas à la ronde, parce que toutes les filles n’ont d’yeux que pour ce mec…
- Il est pas si bien que ça, faut pas exagérer ! s’offusqua Emmanuel. Prétentieux, par contre, comme j’en ai rarement vu ! Non, vraiment, on sera déjà bien bons de le laisser faire notre première partie !
- Je croyais qu’il s’agissait de simplement laisser croire que ? » se moqua gentiment Arnaud.
Emmanuel eut un geste de la main indiquant que tout cela n’était que du détail.
« J’ai entendu dire qu’il faisait de la natation de compétition, aussi, » intervint Quentin.
Emmanuel eut un sourire triomphant.
« Génial ! Ça lui posera pas de problème de se mettre à moitié à poils alors !
- En décembre ? rit Nicolas.
- Laisse-moi faire… promit Emmanuel. Faites-moi confiance : cette année, ce sera la plus belle fête qu’on ait jamais eue ! »
Fin
Autre information :
+ Retrouvez ici le
post récapitulatif et explicatif de l'univers des Langaret.