J'ai décidé de donner une deuxième chance à Mirai Nikki (plus connu sous le nom de Journal du Futur).
La première fois que je l'ai essayé, j'étais plutôt enthousiaste: on m'avait beaucoup vanté ses qualités comme thriller psychologique surnaturel. Il se trouve que j'aime beaucoup les scénarios sur les "jeux mortels," et l'idée des journaux intimes capables de prédire l'avenir avait un sacré potentiel pour les combats stratégiques. J'ai aussi entendu beaucoup de bien de Yuno, la jolie psychopathe sinistre qui définit à elle seule la trope Yandere; j'étais curieuse.
Ce à quoi je m'attendais: un protagoniste auquel on puisse s'identifier, du suspense, un usage inventif des prédictions, des questions de morale, et surtout, une approche réfléchie de la psychologie humaine. A part quelques tours ingénieux avec les journaux du futur, j'ai été déçue sur tous les plans.
J'ai lâché le manga au chapitre 4, lorsqu'une détentrice de journal sort une moto de ses fesses (littéralement) pour s'enfuir. Ce genre de scène détruit toute forme de suspense: à partir de là, je savais que dès que ce personnage se retrouverait dans une situation critique, je me demanderais: "Pourquoi tu n'utilises pas encore la moto?"
La deuxième fois que je l'ai lu, c'était pour une raison autrement plus stupide: je venais de terminer le jeu The World Ends With You et je me baladais sur sa page des tvTropes parce que les personnages me manquaient. C'est là que j'ai entendu parler d'un certain Akise Aru, un personnage de Mirai Nikki que je n'avais pas encore rencontré, qui a pu fortement inspirer Joshua Kiriyu de TWEWY:
Satané Josh.
Effectivement, ces deux-là ont beaucoup de choses en commun, qu'il s'agisse du physique, de leur comportement ou même des paroles du thème musical d'Akise, Aru Shinjitsu no Uta (Song of a Certain Truth), qui collent étrangement bien à Joshua. (C'est une belle chanson, d'ailleurs. Vous pouvez la trouver sur youtube avec sous-titres anglais.) Dans les deux cas, les autres personnages ainsi que les lecteurs/joueurs s'interrogent tout au long de l'histoire sur leurs mobiles: à quel point ces gamins peuvent être dangereux, et sont-ils dignes de confiance.
Sur plusieurs points, Akise est même mieux développé que Joshua en tant que personnage: il est plus humain, et le conflit auquel il est confronté est plus visible. Ce qui est d'autant plus rageant qu'il est le seul personnage qui se tienne dans Mirai Nikki. (Et qu'il a des goûts très discutables en matière d'hommes, mais j'y reviendrai plus tard.)
Avant de parler d'Akise, commençons par les problèmes de la série en général.
Voici le synopsis: douze personnes sont choisies par un dieu mourant appelé Deus, chacune d'entre elles se voit remettre un journal capable de prédire l'avenir (un peu différemment en fonction de la personnalité de son porteur - ou de son absence de personnalité, la suite vous le dira) et assigner un numéro. Deus leur dit ensuite qu'ils doivent se retrouver et s'entretuer jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'un: le gagnant prendra sa place et deviendra Dieu. Si un journal est détruit, son porteur meurt.
Avec ce genre de scénario, on s'attend à rencontrer des personnages aux histoires différentes, chacun ayant ses propres raisons de se battre ou de refuser le conflit: certains d'entre eux seront des psychopathes dès le début, d'autres des êtres humains ordinaires qui essayent de se tirer de cette situation, ou se font corrompre au fil des événements; ou les deux. Sur ce plan, Mirai Nikki n'est pas en reste.
Il y a juste un petit problème: quitte à se focaliser sur un protagoniste, ce personnage doit être à la hauteur du défi, ou présenter un contraste suffisant avec les autres personnages pour que les choses gardent leur intérêt et que la tension soit maintenue. Cela peut fonctionner si le protagoniste est, au choix:
A) quelqu'un de fondamentalement gentil qui refuse de se soumettre aux règles sadiques au départ, mais est prêt à se lancer dans la bataille si la vie de personnes auxquelles il tient est menacée:
(Mai Tokiha de Mai HiME)
ou
B) un asocial très compétent et intelligent qui se bat bec et ongle pour survivre en s'adaptant au jeu au fur et à mesure:
(Neku Sakuraba de The World Ends With You)
Au fond cela n'a pas de réelle importance que le protagoniste soit fort ou faible, intelligent ou stupide, mais le strict minimum dans un scénario sérieux, c'est d'avoir deux sous de bon sens.
Notre personnage principal, Yukiteru Amano, est supposé appartenir à la première catégorie: c'est un gamin ordinaire sans ami ni ambition qui se retrouve embarqué malgré lui dans ce merdier. Il se débrouille bien pour viser avec des fléchettes, mais n'a pas d'aptitude particulière en dehors de ça - de toute façon il ne veut pas se battre.
S'il a survécu à son premier assaillant et à toutes les attaques qui ont suivi, c'est par l'arrivée impromptue du numéro 2, Yuno Gasai, une camarade de classe follement amoureuse de lui (au sens très littéral du terme) et décidée à tuer tous ceux qui se mettent en travers de leur "idylle".
En se débrouillant bien, c'est le genre de situation qui peut engendrer d'excellents conflits: d'un côté, Yukiteru ne veut tuer personne et Yuno le terrorise. De l'autre, il ne peut pas survivre sans elle. Faut-il qu'il la repousse au risque de se faire massacrer, ou qu'il utilise ses sentiments à son avantage en dépit de ses scrupules et du fait qu'elle est un danger public?
C'est ce conflit qui alimente le scénario. Malheureusement, il est très mal géré, pour une raison toute simple: les réactions des personnages et leur soi-disant "évolution" n'ont strictement aucune cohérence.
Yukiteru se fait des cheveux sur son stalker homicide (Yuno), mais la trouve quand même attendrissante lorsqu'elle recommence à se comporter comme une collégienne ordinaire. (Alors que ces sautes d'humeur sont complètement aléatoires et ne durent jamais longtemps, ce qui devrait être d'autant plus alarmant.)
[Spoiler pour le chapitre 4.] Même lorsqu'il fait équipe avec un flic porteur d'un journal du futur, au lieu de demander à la police de le protéger contre les futures attaques des autres participants (c'est quand même leur boulot de protéger les citoyens) et d'assigner un gardien à Yuno pour éviter qu'elle ne dégénère, Yukiteru se contente de...la laisser le suivre partout. Logique.
Il se fait autant de mouron pour le divorce de ses parents, le fait qu'il n'ait aucun ami et, vous allez rire, le fait qu'il ne puisse pas protéger Yuno comme elle le protège. Ce que les autres personnages et les lecteurs ont tendance à lui reprocher aussi. Très souvent.
Alô? C'est une tueuse en série et elle est folle à lier! C'est pas un chevalier servant qu'il lui faut, c'est une équipe de psy compétents et une camisole de force!
Ce qui m'amène au second principal problème que me pose Mirai Nikki. Dans un bon thriller psychologique, les personnages sont définis au départ par un certain nombre de traits de caractère et de valeurs, puis des événements tragiques se produisent et amènent ces personnages à évoluer: les idéaux doivent être réévalués, ou abandonnés pour de bon si le personnage atteint ses limites et devient fou, ou si au contraire un événement particulier lui apporte la rédemption. Ces changements peuvent être progressifs ou très soudains, mais dans ce dernier cas, ils sont généralement irréversibles.
En revanche, dans Mirai Nikki, les personnages vont et viennent sans arrêt entre la folie et la santé mentale, en fonction de ce qui sert le scénario. Vous voulez des drames? Yukiteru devient fou. Besoin d'un peu d'humour? On lui laisse une pause pour qu'il retourne s'amuser à l'école comme si toutes les morts sanglantes n'avaient jamais eu lieu. Parfois il change d'état plusieurs fois en l'espace d'un chapitre. Par conséquent, toute évolution du personnage peut être annulée sans transition, ce qui fait que l'histoire semble vide de sens. Difficile de se sentir concerné si on sait que tout peut magiquement s'arranger à l'improviste.
Sans parler de cette stupide intrigue secondaire selon laquelle il faut sauver Yuno d'elle-même. C'est quand même un stalker psychotique.
Alors comment se fait-il que cette série et ce personnage soient si populaires en dépit de ces défauts? Je vous l'explique en deux mots: fanservice et gore.
Mirai Nikki en a à revendre, surtout lorsqu'il s'agit de montrer Yuno en sous-vêtements en train de brandir une hache ou de jouer avec des crânes. Ce qui ne me pose pas vraiment problème en soi, du moment que ça n'arrive que de temps en temps et que ça ne sort pas trop de nulle part. Or Yuno n'a pas l'exclusivité du fanservice, qui a tendance à atteindre des proportions loufoques. Un exemple qui m'a particulièrement marquée, c'est le premier jour de cours de Yukiteru au chapitre 14, lorsqu'il trébuche et se rattrape au pantalon d'Hinata pour ne pas tomber, et exhibe accidentellement sa culotte aux yeux de toute la classe. Je m'avance peut-être, mais ça me parait un peu improbable.
Oh, et il y a un journal du futur entièrement consacré à l'état des seins d'Hinata. Si si.
Il se trouve qu'Akise aussi est là pour le fanservice, à l'intention d'un autre public visé: les fans de yaoi. Parce qu'il est amoureux de Yukiteru. Ce qui, encore une fois, ne me poserait aucun problème si ça ne sortait pas complètement de nulle part. Pourquoi est-ce qu'il aime Yukiteru? Ben...parce qu'il est mignon, apparemment? Et[un spoiler pour le chapitre 48.] il se peut que Deus lui ait fait artificiellement ressentir le besoin de protéger Yukiteru en tant qu'observateur du jeu... ce qui ressemble méchamment à une forme de tricherie et irait à l'encontre du principe même du jeu, pourquoi est-ce que Deus n'a pas directement désigné Yukiteru comme successeur s'il voulait qu'il gagne à ce point...? Mais je m'égare.
Ce qui fait de lui un bon antagoniste pour Yuno, d'autant plus qu'il n'est pas sans défaut lui-même: il est beaucoup trop sûr de son talent en tant que détective, ce qui le rend très imprudent. Sans compter qu'il a une passion compulsive pour les jeux de hasard, et qu'il s'est lancé dans cette histoire en grande partie pour s'amuser; fatalement, il se retrouve souvent dans des situations délicates.[Spoiler pour le chapitre 17.] A sa décharge, difficile de ne pas admirer un gamin qui joue à pile ou face avec quelqu'un capable de prédire l'avenir alors qu'il n'a pas de journal du futur, et gagne. Cette seule scène valait le coup de lire le manga.
C'est ce qui fait de lui un personnage intéressant, et permet de capter l'intérêt des lecteurs visés. L'ennui, c'est que manifestement c'est tout ce que l'auteur attendait de lui. C'est du gâchis. Pour qu'un personnage de ce calibre utilise tout son potentiel, il aurait fallu que les autres aient davantage de cohérence, au moins assez pour pouvoir passer pour des êtres humains. En particulier Yukiteru, qui est censé être la principale motivation d'Akise alors qu'il n'est qu'une épave émotionnelle qui passe son temps à se regarder le nombril.
Ce retournement de situation aurait pu marcher si on avait eu des indices et si on l'avait vu débattre avec lui-même avant de prendre cette décision, mais tant pis...
Il y a aussi le numéro 9, une terroriste débrouillarde avec un fort caractère et une affinité avec les explosifs (ce que j'approuve en toutes circonstances dans une oeuvre de fiction). Pas de chance, c'est aussi celle qui défèque des motos opportunes, se déguise en soubrette ou en infirmière sans raison apparente (soyons juste, au début l'uniforme d'infirmière était justifié par le fait qu'elle se cachait dans un hôpital), et pour finir,[un spoiler sans grande incidence du chapitre 41.] elle a une épiphanie devant un écureuil enceinte. Yep.
Enfin, il y a la seule porteuse de journal qui refuse de se battre jusqu'à la toute fin, le numéro 8. A la place, elle a toute une équipe d'orphelins qui se battent pour elle parce qu'ils veulent qu'elle devienne Dieu.[Et un spoiler sur le pouvoir de son journal.] Sans compter qu'elle a le pouvoir de créer des "apprentis porteurs de journaux" pour la protéger. Est-ce qu'elle éprouve de la culpabilité à l'idée d'entraîner tous ces gens dans la bataille? Je n'en ai pas la moindre idée. Parce qu'on n'entend jamais son opinion sur le sujet en dehors de: "Je veux que les enfants puissent vivre heureux." On pourrait la remplacer par une poule pondeuse avec une pancarte disant "Tuez-moi et perdez tout espoir de rédemption", et personne ne verrait la différence:
Elle ressemble à une poule. Comment je suis censée la prendre au sérieux?
Et bien sûr, il y a la fin.
Je pourrais écrire tout un essai sur la fin, mais celui-ci est déjà trop long, et j'ai assez palabré sur la fin dans les passages cachés ci-dessus, alors je vais m'en tenir là. De toute façon, à ce stade il y avait longtemps que j'avais perdu tout intérêt pour l'histoire.
Akise a beau voler la vedette en s'attirant l'empathie du lecteur avec ses motivations, son tempérament audacieux et ses nombreux talents (contrebalancés par des défauts et des faiblesses crédibles), il ne sauve pas le scénario pour autant. Au vu de la popularité de la série, je dois pourtant reconnaître ceci à l'auteur: félicitations Monsieur Sakae Esuno, votre stratégie fonctionne. Votre combinaison de gore, de fanservice et d'un ou deux personnages intéressants (si tant est que Yuno compte) vous a rendu riche!
Cela étant, ça ne suffit pas à faire une bonne histoire.
Franchement, je ne peux pas recommander Mirai Nikki. Aucune cohérence chez les personnages = aucun suspense = échec total pour un thriller psychologique surnaturel. Vous pouvez me servir des épisodes à la piscine et de jolies cinglées en train de découper des gens à coups de hache tant que vous voulez, s'il n'y a rien derrière, ça ne prend pas.
Si vous voulez lire les aventures de personnages crédibles coincés dans un jeu mortel avec des pouvoirs surnaturels (et du fanservice), regardez plutôt l'anime Mai HiME (évitez le manga, par contre), ou jouez à The World Ends With You sur Nintendo DS (malheureusement il n'existe pas de version française). Ils ont leur lot de défauts (surtout Mai HiME; TWEWY est génial), mais ils font au moins ça de bien.