Titre : Un vrai petit homme
Auteur :
anadyomedeThème : Passage à l'âge adulte
Fandom : Autant en empore le vent
Personnages : Wade Hamilton
Rating : PG
Disclaimer : Tout appartient à Margaret Mitchell
Note : La phrase qui revient est toute à l'auteur. Puis aussi, je ne sais pas si cet OS correspond exactement au thème mais... mais j'espère que oui.
Lorsque Wade Hamilton fut âgé de dix-huit ans, il pouvait encore entendre distinctement la voix de sa mère, si jeune alors - d’une année seulement son aînée à présent - lui dire d’une voix assurée :
« Sois un vrai petit homme, Wade. Ce n’est qu’une bande de sales Yankees ! »
Ses souvenirs d’enfance pourtant lui semblaient terriblement éparpillés. Longtemps, il avait tenté d’y remettre un ordre mais tout ce qui lui restait lorsque, les yeux fermés, il se concentrait sur ses premières années de vie, était une peur, une peur indescriptible qui lui tapait contre le ventre. La peur du noir et des cadavres, du feu et de la faim. Une angoisse qui étreignait son corps et le laissait tremblant de tous ses membres. La respiration douloureuse, la peur venait d’un crissement inconnu, d’un cheval au pas, d’un coup de fusil qui partait en l’air ; de tout cela, oui, il s’en rappelait comme on se rappelle d’un cauchemars enfantin et incessant qui s’élevait avec l’obscurité.
Pourtant, la voix de sa mère était là. Presque douce, elle avait filé comme un adieu, comme une fierté. Elle s’était élevée alors que le monde s’était écroulé, pleine d’une dignité résolue : « Sois un vrai petit homme, Wade. ».
Enfant, sa mère la terrorisait. Et maintenant toujours, elle semble une silhouette lointaine. Wade s’était résolu à ne jamais l’avoir connue. Qui l’aurait pu ? Qui aurait su dire ce qui se cachait derrière cette femme que rien, ni la guerre, ni la pauvreté, ni les chagrins passés et à venir, la mort de Bonnie, son enfant chérie, la perte du capitaine Butler - non rien n’était parvenu à l’abattre. Elle resterait, il le savait, dure comme une pierre dans son souvenir, se dresserait de tout son sang irlandais et jusqu’à la fin, son regard lui répéterait : « Sois un vrai petit homme, Wade. Ce n’est qu’une bande de sales Yankees ! ».
Bien sûr, les Yankees n’étaient plus un danger depuis des années. Il arrivait à Wade d’en fréquenter, mais toujours à l’abri des regards, parce qu’il y avait cette Emilie dotée d’un charmant sourire et dont les cheveux coulaient en boucles fines, encerclant ses épaules comme de l’or. Puis il se rappelait son père et songeait que c’était des mains d’un des siens, du père, de l’oncle, peut-être même du cousin d’Emilie que tant d’hommes, pareils à Charles Hamilton, étaient morts. Alors aux sourires de cette fille se supplantaient les yeux verts de sa mère.
C’était étrange mais quand le doute venait lui mordre le cœur, quand il se sentait comme un enfant terrifié à l’idée de lever les yeux et de découvrir son ciel en feu, cette scène à Tara lui apparaissait en un choc. Et il se voyait, petit homme, il ressentait ce courage venu de nulle part, comme jamais plus il ne l’avait ressenti, ce courage d’homme à la vue du sabre qu’un soldat avait pris. Celui qui l’avait poussé à se tirer des jupes de sa mère et à se dresser, petit homme, oui, petit homme pour de vrai, à tendre le bras et à réclamer l’ultime objet d’un père qu’il n’avait jamais rencontré et qui lui appartenait de droit.
Les gens du Sud murmuraient encore que la guerre avait marqué le passage à l’âge adulte pour tous ceux qui l’avaient vécue. Et à présent Wade réalisait à quel point c’était le cas lorsqu’il entendait, parfois, Mama lui raconter comme sa mère était la plus belle du comté, comme elle savait rougir et tapé du pied jusqu’à ce que tout se déroule comme elle l’attendait. Avant, avant ; avant que les Yankees ne libèrent les esclaves et ne brûlent le coton, avant que la faim et la peur n’encerclent la toute jeune Scarlett, avant que le Sud ne s’effondre pour de bon. Les filles ne savaient que danser et battre des cils. Les hommes, eux, s’inclinaient. Il y avait une joyeuse insouciance qui les encerclait, une ignorance qui aurait dû durer toute une vie et l’attraper, lui aussi. Mais non, il avait fallu cette guerre et alors le front de sa mère s’était fait si sévère que Wade était incapable de se le rappeler heureux.
Et lui, lui quand allait-il grandir ? Cette voix le défiait :
« Sois un vrai petit homme, Wade. Ce n’est qu’une bande de sales Yankees ! »
Quand il y repensait, le jeune homme réalisait que jamais il ne s’était senti aussi adulte qu’en ce terrible après-midi, lorsque la terreur, pour quelques secondes à peine, s’était enfuie.