Titre : La ouate dans les pupilles
Auteur :
anadyomedeThème : Vision
Fandom : Les chroniques de Narnia
Personnages : Susan, mention des autres Pevensie.
Rating : PG
Disclaimer : Tout appartient à C. S. Lewis.
Susan a déposé les pots de confitures et s’est rincée les doigts. Trois fois. Elle a regardé l’eau courir sur sa peau, et le soleil qui rentrait à travers les rideaux, et les quelques fraises qui restaient égorgées ; elle a pensé que tout était parfait. Qu’elle était très heureuse, très heureuse pour de vrai.
Elle n’a pas fait attention au miroir. Lorsque le téléphone a sonné, elle n’a pas décroché. Elle n’a pas non plus pensé à Lucy, à Peter, à Edmund, elle n’a pas vu le lion qui, un court instant, s’est élevé dans l’ombre des casseroles parce que le mur non plus, elle ne l’a pas regardé.
De toutes ces années passées sur terre, de toutes années londoniennes, installées, reposées, rassurées, sa vision s’est doucement repue. Elle s’est laissée ronger, ou alors c’est Susan qui l’a désiré. Ça n’avait plus d’importance. Et puis à quoi bon, oui, parfois, elle se souvenait après être rentrée de Narnia qu’elle cherchait sur chaque faille de la ville un souvenir. Elle croisait des hommes partout, jusqu’aux Amériques, et elle pensait à Caspian lorsqu’ils s’inclinaient, lorsqu’ils la dévisageaient. Elle pensait à lui tout le temps. Puis c’était tombé petit à petit. Ça s’était détruit dans ses yeux, dans sa tête ; les lions n’étaient rien d’autre que des bêtes en cage.
Susan a séché ses mains et a remis du rouge à lèvre en surveillant l’horloge de la cuisine. Elle a laissé reposer ses confitures dans un coin du plan de travail et s’est assise sur la table pour allumer une cigarette.
« Qu’est-ce que tu fais ? avait demandé Lucy la première fois. Mais c’est idiot, mais arrête ! Sais-tu qu’à Narnia… »
Non, Susan ne savait plus rien.
Elle a attendu que sonne sept heures, mais sept heures n’est pas venu et son époux non plus. Alors elle a plié les jambes, elle a fumé, fumé, elle a compté les secondes. La cuisine s’était remplie de l’odeur d’été, ou d’hiver, ou d’automne au final qu’est-ce qu’elle s’en fichait la saison où elle se trouvait puisque toutes se ressemblaient.
Elle n’a pas su immédiatement quand le train les a happés comme une vague. Quand ils sont rentrés, tous, Peter, Edmund, Lucy, sans elle, à Narnia, et qu’Aslan les attendait. Personne n’avait songé à l’emporter aussi, elle, la jolie Susan, la douce, la réfléchie, mettant sa confiture en pot pendant que la lumière tombait, pendant que tout le monde mourrait et qu’elle restait assise là à attendre elle ne savait plus quoi, la vision embrumée de refus et de terreurs, les souvenirs comme de la ouate dans ses pupilles, le nom de Caspian en pierre dans son ventre, les lèvres rougies.