Fic - Le futur nous attend
Le futur nous attend
3300 ~ mots, Gen, (petits sous-entendus légers comme une brise de printemps, Étienne/Clem)
Résumé : La dernière soirée de Jacques Clem Lagrange, à la veille de son départ pour Londres et de son engagement dans les Forces Françaises Libres.
Note de l’auteur : Et si Steve Rogers, le fameux ‘Captain America’ était français, habitait Paris et se nommait Étienne Roger? Tout est parti de
ce post complètement ridicule _mais au fond pas tant que ça _qui donna naissance à Étienne Roger, Jacques Clemenceau Lagrange et au « Capitaine France ». Une fic un peu triste et nostalgique en dépit d’un postulat de départ qui lui, ne l’était pas du tout.
***
Paris - Novembre 1940
Étienne attendait emmitouflé dans une grosse écharpe à la sortie du métro Iéna, trépignant dans le froid. Clem allait arriver d’un instant à l’autre et l’embarquer une fois encore à l’autre bout de la capitale dans une folle soirée dont lui seul avait le secret. L’idée aurait pu sembler relativement séduisante à n’importe quel autre moment mais pas aujourd’hui, Étienne ayant espéré quelque chose de plus intimiste pour ce qui allait être sans nul doute sa dernière soirée avec son meilleur ami.
Dernière soirée.
Étienne n’aimait pas le son de cette expression. Il y avait quelque chose de définitif dans ces mots, trop définitif. « Dernière soirée à Paris » ou « Dernière soirée - tout court », cela dépendait si on décidait de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Même avec tout l’optimisme du monde, cependant, Étienne savait ce qu’il advenait de ceux qui passaient de l’autre côté, ceux qui partaient se battre avec les Forces Françaises Libres. Il avait entendu parler de tous ces hommes tombés au combat, restés fidèles au Général, tous ces gamins qui ne reviendraient jamais, alors cette dernière soirée il aurait aimé un peu égoïstement la passer seul avec Clem, dans leur chambre de bonne miteuse à gribouiller tranquillement pendant que son ami d’enfance referait le monde, un verre de pinot bon marché à la main. Mais non, Clem en avait décidé autrement et lui avait donné rendez-vous à sept heures moins le quart précise avec l’assurance d’une « sortie fabuleuse en très charmante compagnie ».
Où donc allait-il trimballer Etienne cette fois-ci ? Paris occupé n’était pas l’endroit où l’on s’amusait le plus, enfin pas les gens comme lui, ceux qui ne connaissaient personne et qui étaient abonnés aux tickets de rationnement. De plus, l’idée d’une grande virée « à quatre » n’enchantait guère Etienne : il tiendrait encore la chandelle, tentant de bafouiller deux-trois mots à une jeune femme adorable et trop maquillée qui le regarderait à peine. Elle zieuterait surement le plus discrètement possible, sur Jacques Clemenceau Lagrange maudissant sa copine d’avoir décroché le 1er Prix et de se retrouver, elle, avec un triste lot de consolation.
Étienne n’était pas jaloux, loin de là.
Lui aussi, du coin de l’œil ne pouvait s’empêcher de regarder Clem quelque fois et il n’y avait rien ne surprenant à cela : Clem ressemblait à un acteur, grand, les épaules larges comme un modèle de Leyendecker, les yeux clairs. Jean Gabin sans le côté gueule cassée. Étienne n’avait pas à se plaindre néanmoins, lui aussi ressemblait à un acteur. Ceux que l’on met au second plan car on sait que la camera ne fera jamais le point sur eux, illustres inconnus à jamais flous sur la pellicule, tristement perdus entre une plante verte et un projecteur oublié dans le champ.
Force était de constater que la présence radieuse de Clem présentait quelques avantages non négligeables : avec son ami d’enfance à ses côtés, on ne le remarquait pas lui, Étienne Roger et ses 48,4kg d’os et de tendons noueux, son blouson trop grand acheté dans une boutique de seconde main, sa coupe au bol qu’il trouvait ridicule avec cette satanée petite mèche qui revenait sur le visage tel un essuie-glace mal réglé. La proximité rassurante de Clem tenait également à distance la quantité incroyable d’individus louches avec qui il avait régulièrement maille à partir et qui avaient pris la très fâcheuse habitude de le considérer comme un punching-ball. Etienne n’avait jamais reculé même face à des adversaires qui le toisaient de quarante centimètres mais avoir la garantie que, pour une fois, il reviendrait à la maison sans une égratignure et avec son portefeuille intact avait un côté passablement réconfortant.
Clem déboula enfin du métro dans son grand manteau noir dégoté aux puces, en faisant des grands gestes de la main. N’importe qui aurait eu l’air un peu ridicule dans cet accoutrement ringard mais pas Clem : un rien habillait cet imbécile.
- Six heures quarante-cinq ! Pile à l’heure ! s’écria-t-il d’une voix claire tout en donnant une petite tape amicale sur l’épaule d’Étienne.
- Alors ? maugréa Etienne visiblement transi de froid, on va où cette fois ?
Il priait en secret pour échapper à une énième soirée dansante où il se ridiculiserait surement.
- Dans le futur ! lui lança Clem avec un sourire étincelant, tiens.
Clem tendit à son ami un dépliant pour l’événement qui était sur toutes les lèvres : La Grande Exposition de Noël organisée au Champ de Mars par le célébrissime milliardaire Howard Starques, à la tête des Industries Starques, du Château Starques, des voitures Starques, de l’électroménager Starques et de tas d’autres trucs tout aussi Starques qu’Étienne se refusait à utiliser. Il n’en avait pas les moyens de toute façon, c’est tout juste s’il pouvait se payer ses carnets de croquis et ses crayons.
Étienne se saisit du papier et regarda Clem, horrifié.
- Starques ? Ce collabo ? Tu te fous de ma gueule ? Je préfère crever plutôt que de donner un franc à ce sale type !
Clem attrapa Étienne par le bras et l’entraina sous un porche, loin des badauds qui s’agglutinaient à la sortie du métro. Sa main serrait le petit bras d’Etienne avec force.
- Mais tu es complètement dingue ?! s’étouffa Clem, combien de fois il va falloir que je te répète de faire attention à ce que tu dis, particulièrement en pleine rue, bon sang ! J’ai pas envie qu’on retrouve ton corps flottant dans la Seine ou dans la cave d’une Kommandantur ! »
Étienne cessa de respirer, sa maigre carcasse figée contre le mur. Clem ne criait que très rarement.
- Excuse-moi. Je m’inquiète pour toi, c’est tout, et tu sais comment je suis quand je me fais un sang d’encre, reprit Clem et lâchant enfin Étienne. Si tu es déjà aussi désinvolte pendant que je suis encore là, je n’ose pas imaginer le désastre quand je serai parti.
Il soupira, se passant la main nerveusement dans ses cheveux parfaitement gominés, cherchant ses mots et sentant la respiration du petit bonhomme en face de lui revenir enfin à la normale.
- Bon écoute, tu sais garder un secret ? Ce que je vais te dire, c’est entre nous. Tu n’en parles à PERSONNE, c’est bien clair ?
Clem regarda de nouveau autour de lui comme si vingt miliciens écoutaient planqués derrière le mur, et reprit d’une voix à peine audible.
- Starques, ce n’est pas le genre de type que tu crois, il…c’est...un des plus grands financiers de la Résistance. L’Expo Starques, les diners avec les boches, c’est un écran de fumée destiné à récolter du fric et des infos. Tu vois de Gaulle ? Avec le pognon de qui tu crois qu’il arrive à organiser la Résistance depuis Londres ?
Étienne écarquilla les yeux. Quoi ? Howard Starques, cet insupportable excentrique gominé à moustaches connu pour ses robes de chambre en soie bariolées, ses soirées arrosées avec l’occupant, ses inventions débiles comme le sécheur de vernis à ongles mais surtout pour l’explosion spectaculaire de son laboratoire privé qui avait valu l’évacuation de la quasi-totalité du XVIe arrondissement il y a deux ans, cet Howard Starques-là était un résistant ? A bien y réfléchir, on ne savait pas grand-chose de lui en dehors de ses frasques à répétition et de tout ce décorum un peu kitch qu’il aimait à balancer de temps en temps aux journalistes. Il apparaissait quelques fois dans la presse à potins lançant des déclarations complètement vides du genre « Je collectionne les boucliers » ou « Si j’ai un fils, je l’appellerai Antoine ». Qu’est ce qu’on en avait à foutre qu’il veuille appeler son fils Antoine ? Il pouvait bien l’appeler Eudes, Charles-Édouard ou Fernand, c’est pas ça qui remplirait les frigos des Parisiens. Et « Howard »…Ce n’était même pas son vrai nom. Il s’appelait Hubert. Tout le monde savait qu’il avait choisi un prénom américain parce que les États-Unis et Hollywood étaient à la mode mais il était vrai que Howard donnait tout de suite un certain cachet auquel aucun milliardaire de la trempe de Starques ne pouvait résister.
Clem continua, incertain, sortant Étienne de ses pensées.
- En plus, tu sais, Starques, apparemment, il finance d’autres trucs aussi…
- D’autres…trucs ?
Clem haussa les épaules avant de poursuivre, perplexe.
- Des trucs bizarres, c’est pas net mais d’après ce que j’ai vaguement entendu, c’est le genre d’inventions qui donne des migraines à notre ami Adolph et ça, ça me suffit.
Il ajusta l’écharpe autour du cou d’Etienne, un peu absent.
- Ce n’est pas un hasard si je vais là-bas ce soir. Je dois rencontrer les types qui peuvent me faire passer à Londres et de là, intégrer les Forces Françaises Libres.
- Clem, écoute. C’est…c’est une connerie. Tu n’es même pas militaire ! De Gaulle en a appelé aux militaires et aux spécialistes de l’armement pas aux ouvriers des abattoirs ! Et ces types que tu vas rencontrer, tu ne sais même pas...
- Ils sont fiables ! interrompit Clem, et de Gaulle ne crachera pas sur des bras supplémentaires, si tu veux mon avis, d’autant que j’apprends vite. Écoute, il faudra juste que tu occupes les filles deux minutes pendant qu’ils me rencardent pour le départ de demain. Baratine-les avec Jean Sablon, ses chansons, sa vie, son œuvre. Toi, tu connais ça par cœur. Elles vont adorer, je te fais confiance ! Après, on ira boire un coup et on passera tous une bonne soirée. J’ai fait à Josiane un portrait de toi dithyrambique, elle t’adore déjà !
Étienne esquissa une dernière tentative, sans doute la plus désespérée de toutes.
- Jacques, écoute…
Clem sourit, tendrement, jouant toujours avec l’écharpe en laine un peu râpeuse.
- Et bien pour que tu m’appelles Jacques, il faut vraiment que la situation soit grave. Tu ne m’as pas appelé comme ça depuis le jour où j’avais parié que j’arriverais à sauter entre ces deux immeubles rue des Martyrs.
- Et tu ne l’avais pas fait.
- Non, je t’avais écouté. Mais pas cette fois.
Il regarda Étienne, lui retira l’air de rien cette agaçante petite mèche de devant les yeux.
- Tu es un sacré numéro bourré de contradictions, Étienne Roger. Tu ne veux pas me laisser partir mais toi, tu fais tout pour y aller. Je sais que tu veux y aller, je te connais par cœur, mais tu n’as rien à prouver. Rien. Ni à ces imbéciles avec qui tu passes ton temps à te castagner, ni aux médecins, et encore moins aux Allemands. Je sais ce que tu vaux et tu n’as pas besoin de quitter Paris pour prouver à la terre entière qui tu es vraiment. Reste à la maison, c’est plus raisonnable...
Étienne se glaça. Il connaissait la lourdeur et tous les sous-entendus contenus dans cette phrase inachevée. C’est plus raisonnable. C’est plus raisonnable…dans ton état.
Son état.
Il détestait qu’on lui rappelle son « état », surtout quand c’était Clem, bien qu’il ne le fasse que rarement, et sans aucune méchanceté. Il le connaissait, son état : son asthme soi-disant « psychosomatique » d’après les médecins, ses problèmes pulmonaires à répétition et plus récemment son début d’astigmatisme. Tout était là pour le lui rappeler à chaque minute de la journée, son état.
- Étienne, continua Clem en pausant une main qui se voulait rassurante sur l’épaule de son ami, reste là, poursuis tes études. Une bourse de l’École des Beaux-Arts, ce n’est pas rien. Ce n’est pas comme si n’importe qui pouvait en décrocher une, surtout à une époque pareille…
Il marqua une pause.
- On n’a toujours besoin d’artistes, tu seras plus utile ici.
- Utile à quoi ? Décorer les Kommandanturs et peindre des portraits du Maréchal ? Ce n’est pas ce que j’appelle être utile. Laisse-moi venir avec toi !
- A l’Expo Starques ? Mais y’a pas de problème mon vieux! Ça fait une heure que j’essaye de te convaincre, répondit Clem en feignant de ne pas comprendre.
- Non, tu sais très bien de quoi je parle, dit Étienne en jouant nerveusement avec le col du manteau de Clem, le dépliant toujours froissé dans la main, je…je pourrais être utile. Je parle l’anglais. J’ai un bon sens de l’orientation, je…
Clem laissa Étienne divaguer sur les milles raisons pour lesquelles un petit gars plein de bonne volonté comme lui pourrait être nécessaire aux FFL et à son pays. Son esprit s’éloigna. Il pensa à la folle possibilité d’embarquer Étienne, de combattre ensemble, jusqu’au bout des lignes ennemies mais ce fantasme furtif fut remplacé par la réalité du terrain. Clem n’osait imaginer, ne serait-ce qu’un instant, Étienne dans les FFL ou dans un réseau de Résistance locale. Et même s’il restait à l’arrière du front cantonné à des tâches subalternes, qu’adviendrait-il au premier problème de santé ?
Il y a un an encore, Étienne était à Boucicaut suite à une pneumonie, une vraie celle-là, pas le genre de maladie imaginaire et bien commode pour échapper à la conscription. Lors d’une visite, le médecin avait pris Clem à part, lui demandant si Monsieur Roger avait de la famille et qu’il faudrait peut-être songer à la contacter afin qu’elle puisse prendre « des dispositions ». Le médecin pouvait aller se faire foutre, lui et ses diagnostiques à la con. Étienne serait bientôt sur pieds, avait-il pensé, et il avait eu raison d’y croire. Titi, ce bougre de petit bonhomme, s’en était tiré une fois de plus, mais pour combien de temps ? La situation était déjà difficile à Paris alors en pleine cambrousse avec les Allemands aux basques… Qu’allait-il donc faire si Étienne avait une crise d’asthme ? Débarquer à l’hosto à deux pas de la frontière, et demander avec un sourire radieux, « Entschuldigen Sie die Störung aber j’ai un pote asthmatique recherché par les Nazis, vous pouvez vous en occuper et schnell, s’il vous plait? Bon, je vous laisse, j’ai un attentat à préparer ! ». Tout cela n’avait aucun sens.
Il demanderait à ses sœurs de prendre soin d’Étienne, tout allait bien se passer.
De toutes les façons, quand bien même Étienne aurait été un garçon costaud à la santé de fer, à quoi bon? Si cet abruti se retrouvait face à un Allemand, il essaierait de le convaincre de déposer les armes. Étienne voulait faire la guerre mais il ne voulait tuer personne, il espérait que tout ce merdier s’arrête avec un minimum de munitions et un maximum de bon sens, l’imbécile heureux ! Comme si la guerre se gagnait avec de la bonté. Ou peut-être qu’il irait droit au combat sans broncher, va savoir, comme quand il n’hésitait pas à prendre entre deux poubelles des types dix fois plus robustes que lui et qu’il finissait par terre, le nez en sang et les yeux gonflés, tout ça parce qu’il n’aimait pas les brutes qui embêtaient les vieilles dames.
Étienne et lui avaient de grandes discussions interminables où ils maudissaient les armées du Reich mais où Étienne évoquait sans cesse celui qu’il appelait, l’Allemand du quotidien, « les autres de l’autre côté, les gens comme nous qui n’ont rien demandé, ceux qui ne lèvent pas le bras. Et même ceux qui le lèvent, tous ces gamins, pas ces dingues sanguinaires qui les dirigent, peut-être qu’ils ne savent pas ce qui se passe vraiment, Clem. C’est comme en 14 : c’est pas si simple. Mais un jour ça finira bien, j’espère. Pour nous et pour eux. »
Étienne avait un peu trop foi en l’humanité. Clem et son pragmatisme d’un autre côté, pensait à garder Étienne en vie et priait pour trouver suffisamment de sang froid et de détachement pour appuyer sur la gâchette quand il aurait Frantz ou Reiner en face de lui.
Il avait essayé de rassurer Étienne mille fois sur son départ mais il ne lui avait jamais avoué qu’en dépit de toutes ses convictions et son amour de la Patrie, il avait peur. Et comment ne pas avoir peur ? Il avait entendu des nouvelles du front, celles qui filtraient, dans les cafés, au hasard d’une conversation entre personnes « sures », dans les files d’attente pour les bons de rationnement. Il n’ignorait rien de ce qui arrivait à ceux qui se faisaient prendre, les résistants livrés par les milices ou les voisins, sur lettre anonyme. Les disparus, raflés au coin d’une rue, dont on retrouvait le corps mutilé un matin, comme autant d’avertissements sordides lancés à ceux à qui il viendrait l’idée suicidaire de rejoindre un réseau local, sans parler bien sur de tout ce que faisaient les Nazis aux prisonniers de guerre. Ce n’était pas des légendes qu’on racontait aux enfants pour leur faire peur le soir avant de dormir. C’était là, bien réel. Il y avait de quoi devenir dingue, à se pisser dessus d’horreur, mais Clem allait partir, c’était décidé. Il le faisait par conviction et puis aussi pour que des types comme Étienne n’aient pas à y aller.Il avait eu de la chance jusque là, lui, Jacques Clemenceau Lagrange. Il était à l’arrière durant le conflit de 39, affecté à des taches civiles et épargné malgré son jeune âge et son excellente condition physique car seul soutien de famille. A la victoire allemande, son court séjour dans l’armée s’était fini aussi vite qu’il avait commencé : démobilisation puis retour à la vie civile avec des petits boulots aux Magasins Généraux et aux abattoirs de Vaugirard, une rage au ventre qui montait un peu plus jour après jour accompagnée de cette envie irrépressible de s’échapper et de se battre pour la France, la vraie, celle-là, pas celle du Maréchal et de la « Divine Surprise ».
Clem était dans ses pensées et Étienne continuait à énumérer, exacerbé, toutes les raisons pour lesquelles ils devaient partir ensemble. Clem se décida enfin à couper son ami, d’une voix douce comme quand on dit à un gamin qu’on aime trop qu’il est inutile d’insister.
- Étienne. Arrête. C’est pas la peine.
Étienne s’interrompit net, résigné, et lâcha enfin le manteau de Clem. Tout ce qu’il pouvait dire n’y changerait rien. Clem allait rejoindre Londres, en passant par le Nord ou alors en faisant le tour par la Zone Libre, mais il ne reviendrait sans doute pas. Étienne n’aurait peut-être jamais de nouvelles, inconvénient de rejoindre une armée qui officiellement n’existe pas. Ce n’est pas comme si il recevrait un jour un télégramme de décès. Le corps de Clem pourrait bien se décomposer au milieu de la Manche ou à la frontière allemande qu’il n’en aurait jamais aucune idée.
- Allez souris Titi, dit Clem en tentant de cacher sa nervosité, vois le bon côté des choses : quand je reviendrai on m’érigera une statue comme héros de la Résistance avec gravé sur le socle ‘A Jacques Clemenceau Lagrange, la Patrie Reconnaissante’, ça a de la gueule, non ? Et ‘Clemenceau’, c’est prédestiné si tu veux mon avis. Je devrais peut-être me laisser pousser une moustache en hommage…
Étienne soupira, désabusé, le regard dans le vide, il ne releva même pas l’usage de Titi, ce surnom ridicule que son ami aimait à utiliser quand il voulait le faire sortir de ses gonds.
- On n’érige pas de statues à ceux qui crèvent au front, Clem. Juste à ceux qui les commandent. Si cette guerre se termine un jour, de Gaulle en aura une, de statue, même des caisses, sur la place de chaque village de ce pays. Toi, ça sera un miracle si ton nom est gravé sur un monument quelque part...
Clem sourit, un peu tristement.
- Toi, tu seras là pour te souvenir de moi, tu peindras mon portrait, tiens ! En grand, tout en couleurs, dix mètres sur douze, en plein sur la façade du Panthéon. De Gaulle l’aura dans le nez. Tu vois, quand je te disais qu’on a besoin d’artistes ! Allez viens, dit t-il en reprenant le dépliant des mains d’Étienne, le futur nous attend.