Défi- "Mais elle pourrait être ta mère!"

Oct 11, 2010 13:02

Titre : Le garçon qui me fait de la peine

Genre : défi du mois : « Mais elle pourrait être ta mère ! »

Rating : PG

Pairing: Daphne Greengrass/Teddy Lupin



C’était une réception diplomatique banale en tous points. L’ambiance était gourmée à souhait, et le jeune (et prometteur, du moins l’espérait-il) Theodore Lupin, fraichement nommé au Département des relations extérieures avec les Créatures magiques, ne déparait point, dans ses robes d’une austérité formelle, ses cheveux châtains pour une fois disciplinés (merci Tante Hermione pour ce flacon de Lissenplis). Il était assez satisfait de l’impression de maturité qu’il dégageait : cette tenue avait été soigneusement étudiée pour. Bien sûr, sa famille d’adoption était divisée sur le sujet : ses cousines déplorant l’abandon de son style capillaire habituel (elles n’avaient jamais eu affaire à un membre du Magenmagot apoplectique devant ce « jeune punk ! »- Theodore, à ses débuts, ne songeant pas à contrôler sa Métamorphomagie), et James se montrant carrément hostile à l’ensemble (« on dirait que tu as un balai coincé dans le…  ») . Mais l’avis de James comptait pour quantité négligeable en ce domaine : l’adolescent n’étant pas connu pour la délicatesse de ses manières ou le tact de ses paroles.

Il balaya la salle du regard, cherchant à mettre un nom sur chaque visage. Son oncle Percy n’était pas encore arrivé ; des hauts fonctionnaires du Ministère faisaient main basse sur les petits fours ; des Sangs-Purs trônaient dans un splendide isolement, échangeant entre eux les derniers ragots, ou les bons tuyaux pour investir en cette période de contraction de l’économie ; d’autres encore entouraient avec enthousiasme la déléguée de la communauté vélane. Dans un coin, Scorpius Malfoy, blondinet habillé avec un goût très sûr (celui d’Astoria), jouait les auditeurs captifs d’un certain Sanguini, dont le sourire dévoilait des dents très aiguisées.

Theodore cessa là ses observations : le représentant des Sphinx venait de faire son entrée. Il lui fallait se présenter, car ils auraient à travailler ensemble- si le projet anglo-égyptien de coopération entre les deux communautés se réalisait, ce qui n’était pas encore gagné. Beaucoup dépendrait des bonnes relations que son Département parviendrait à établir avec le délégué des Sphinx -or, les sphinx avaient la réputation d’être extrêmement susceptibles. Pas question de commettre un impair !

-Monsieur Hiérophianus ? Enchanté de faire votre connaissance. Je suis Theodore Lupin, du Département des relations extérieures avec les créatures magiques.

Le Sang-Pur le plus pointilleux n’aurait rien trouvé à y redire. Avec l’éducation dispensée par Grand-Mère Andromeda (née Black, tout de même), à laquelle s’ajoutait le Code des usages en vigueur dans notre bonne diplomatie sorcière, pavé de 632 pages daté de l’an de grâce 1684, Theodore n’avait personne à craindre en matière de politesse.

-Enchanté, Monsieur Nott, repartit Hiérophianus, avant de se détourner comme si de rien n’était, nulle émotion ne s’affichant sur son visage dont les traits semblaient avoir été gravés dans le marbre.

Il en resta abasourdi. Quel faux-pas avait-il  donc commis ? Etait-ce un test, Hiérophianus estimant indélicat d’aborder de front le dossier qui les concernait ?

Une séduisante jeune femme aborda le Sphinx avec assurance ; joignant les mains en un geste qu’il ignorait, mais que Hiérophianus parut accueillir avec bienveillance. Tous deux conversèrent quelques instants.

C’est Daphne Greengrass ! entendit Theodore parmi les murmures.

La Daphne Greengrass, photo-reporter pour le Chicaneur ? songea-t-il, incrédule. Il ne se l’imaginait pas ainsi : elle préférait être derrière l’objectif que sur la pellicule, ses articles laissaient entrevoir une voyageuse un peu bohème…La femme qu’il avait devant lui ne pouvait être plus différente : sous son chignon d’ébène dont ne dépassait pas une seule mèche folle, ses yeux noirs étaient froids et ses traits impassibles donnaient l’impression qu’elle était gravée dans le marbre. C’était une statue ; très belle, Theodore l’admettait, mais une statue tout de même.

Sous ses airs de calme olympien, Scorpius Malfoy semblait de plus en plus mal à l’aise, sa main se portant sporadiquement à son nœud de cravate, nota Theodore.

-Teddy !

Il sourit à la jeune fille au visage constellé de tâches de rousseur qui l’avait appelé. Lucy, l’une des deux filles de l’Oncle Percy, était sérieuse, préfète, et terriblement timide. Autant sa sœur Molly, rebelle, défiait le pontifiant Percy à chaque occasion, autant Lucy détestait les querelles, ce qui faisait d’elle une victime désignée : hantant à la suite d’Oncle Percy et Tante Audrey ces dîners diplomatiques dont eux-mêmes étaient si friands et tentant à grand peine de ne pas rougir quand on lui adressait la parole. Oncle Percy avait beau prétendre que Lucy appréciait ces sorties, Teddy connaissait la vérité : combien de fois n’avait-il pas surpris, ces derniers mois, Lucy s’esquivant discrètement une fois ses parents occupés ailleurs,  pour ne revenir qu’au moment du retour ?

Daphne Greengrass s’excusa auprès de son interlocuteur pour fondre sur Sanguini, qui reporta bien vite toute son attention sur elle. Elle profita d’un court instant d’inattention du vampire pour adresser un clin d’œil complice à Scorpius, qui articula un « merci ! » avant de prendre la poudre d’escampette.

Teddy sourit, conquis. La femme hautaine n’était qu’un masque, tout comme « Theodore le coincé ». Une partie de lui était soulagée d’avoir aperçu un instant la vraie Daphne Greengrass, celle qu’il avait devinée par ses clichés.

Très tôt- et ce n’est pas seulement parce qu’il peut prendre le visage de n’importe qui-, Theodore Lupin mesure à quel point il est difficile d’être vu pour la personne que  vous êtes. Il sait que lorsque Grand-mère Andromeda le regarde fixement, ce n’est pas parce qu’il a une tâche sur le nez, mais parce qu’elle cherche un peu du visage de sa maman dans le sien. Pour Oncle Harry, il est d’abord le fils de Remus Lupin, le dernier des légendaires Maraudeurs. Pour beaucoup d’autres qui ont connu la guerre, il est le fils de deux héros qui sont morts le jour de la bataille finale.

Pour ses cousins et cousines du clan Weasley, il est Cousin Teddy, le plus fort, le plus sérieux et le plus cool des cousins…C’est encore ce rôle qu’il préfère.

Daphne n’est en Angleterre que depuis cinq jours, mais il lui semble une éternité. Astoria l’a traînée de réception en réception, fière comme une petite fille d’exhiber sa grande sœur, qui avec le temps a acquis une certaine notoriété, avec ses reportages. Alors, c’est toujours une excentrique aux yeux de la communauté sorcière huppée, mais une excentrique qui a du succès, ce qui la rend un peu plus acceptable. Daphne n’a pas trop protesté, mais quand à son tour, Scorpius veut la jeter dans la fosse aux lions, elle met le holà.

-S’il-te-plaît, Tante Daphne…Ce n’est pas Al qui pose problème, mais quelques-uns de ses cousins seront là. Ce ne sont pas mes plus grands fans, alors si tu pouvais faire diversion…

-Comment ?

-En racontant tes voyages. Tu le fais si bien…

-La flatterie ne te mènera nulle part.

-Rose et Lucy Weasley font partie de tes admiratrices.

Affronter une partie des descendants du clan Weasley-Potter, même en cercle restreint, n’est pas forcément la manière dont Daphne aurait choisi de passer sa journée. Mais Scorpius insiste, et comme à son habitude, elle cède, consciente d’être le seul membre de sa famille dont la réputation est à peu près intacte (sortir Grand-Papa Lucius de sa retraite dorée pour le présenter  à ses copains ne sourit guère à Scorpius, et Daphne le comprend. Le bonhomme, avec sa canne de Père Fouettard et son phrasé faussement doucereux, lui donne la chair de poule).

-Merci, Tante Daphne !

Parfois, Daphne a vaguement conscience que Scorpius la mène par le bout du nez. Malgré cela, tous deux partagent une complicité que peu de gens comprennent. Scorpius est l’enfant chéri des Malfoy, gâté à la folie par son père et surprotégé par sa mère. Daphne ne doute pas de leur affection pour leur fils, même si elle leur reproche leur manque d’élan. Ils lui apprennent à être fier de son nom et fort devant le mépris qu’il suscite aujourd’hui.

Daphne essaie de faire comprendre à Scorpius que se replier sur soi, comme l’ont fait nombre d’anciens Sangs-Purs et Serpentards vilipendés après la Guerre, n’est pas une solution. Elle est la première à qui il confie ses doutes. Comme lors du premier Noël de sa rentrée à Poudlard.

Albus Severus Potter, second rejeton de la lignée, avait été réparti à Serpentard, dans la même maison que Scorpius. Depuis, tous deux s’observaient avec une défiance mutuelle, qui rendait la vie au quotidien difficile.

Scorpius oscillait entre « je n’arrive pas à le cerner » et « je lui parlerais bien, mais son père a essayé de tuer le mien ».

Evidemment, songea Daphne, si on s’arrêtait à ces broutilles…

-D’abord, personne n’a tué personne. Ensuite, c’est une affaire entre ton père et Harry Potter. Les temps étaient différents.

-Vous ne m’en parlez jamais, protesta Scorpius.

-Ce ne sont pas des souvenirs particulièrement agréables ! fit sèchement Daphne.

Devant la mine penaude de son neveu, elle changea de ton :

-Et puis, c’était il y a très longtemps ! Tu n’étais même pas né, petit scorpion ! ajouta-t-elle en lui donnant une pichenette sur le nez.

Une bagarre de chatouilles s’ensuivit (ce qu’aucun d’eux n’admettra jamais à un tiers, même sous Veritaserum). Puis Daphne conclut :

-Tu es Scorpius Hyperion. Il n’y en a qu’un comme toi. Tout comme il n’y a qu’un Albus Severus (d’autant plus que peu de parents affublaient leur progéniture de noms pareils). Tu n’es pas obligé de faire ami-ami avec lui, mais tu peux lui donner une chance.

Daphne est soulagée d’avoir affaire à un petit comité qui, vu de près, semble moins terrible que dans son imagination. Lucy parle peu, Rose parle pour deux, Albus est très calme et tous se montrent polis et très intéressés par ses histoires (Rose en tout cas, qui la mitraille de questions).

Etonnant, tout de même, que cette amitié entre Albus et Scorpius…Deux jeunes prodiges de Quidditch, qui, contrairement à ce que leurs pères respectifs espéraient, n’ont pas pris la relève en tant qu’Attrapeurs, mais Poursuiveurs. Equipiers plutôt que concurrents. Daphne trouve l’anecdote charmante (et cela a bien fait enrager son beau-frère, ce qui est toujours bon à prendre).

Curieusement, c’est Lucy qui arrête le flot de questions de Rose :

-Rose, attends un peu ! Lorcan et Teddy ne sont pas arrivés ! Vous connaissez sans doute Lorcan, et Teddy est notre grand cousin- il adore vos reportages !

Daphne connaît bien Lorcan. Le fils de Luna Lovegood, la première à lui avoir donné sa chance. Tous les autres journaux avaient ricané quand elle leur avait exposé son concept...Pas Luna, toujours ouverte d’esprit, parfois déroutante, mais jamais méprisante.

De tous ses cousins, Lucy, Rose et Albus sont ses préférés. Ce sont les plus calmes de la joyeuse bande qui envahit le Terrier tous les dimanches. Rose, si curieuse de tout et de tous ; Albus, qui lui aussi tente de se défaire de l’ombre de son père, ce héros, pour être « juste Albus »…

Lorcan et Scorpius sont souvent dans les parages : autant le premier est accepté, autant le second suscite l’ire de James, Fred et les autres, quand ils le surprennent avec Albus et leurs cousines.

Aujourd’hui, il allait retrouver la joyeuse bande. Sa présence servait aussi à calmer le jeu au cas- improbable, car on s’était bien gardés de les inviter, non que cela les ait arrêtés auparavant- où lesdits James et Fred viendraient gâcher la réunion.

Mais aujourd’hui, ce qu’il n’avait pas prévu, c’était qu’elle serait là…

Daphne a à peine le temps de saluer Lorcan et le jeune homme aux cheveux bleus que Rose, infatigable, reprend ses questions. D’où lui est venu le concept de ses reportages ? Pourquoi des photographies prises « à la moldue ? ».  Cette fois, Daphne ne peut pas se cacher derrière son commentaire habituel « je préfère le résultat ». Lentement, elle explique qu’il y a souvent peu de travail derrière les photographies prises avec des appareils sorciers : la plupart des photographes se contentent de cadrer, certains que la magie qui fait s’animer les sujets fera le reste du travail.

-Alors qu’une photographie, cela se compose…On réfléchit au résultat que l’on veut obtenir, à l’éclairage qui va souligner les éléments que l’on veut mettre en valeur…C’est la somme de toutes ces petites choses dont une certaine harmonie va se dégager, qui nous donne ensuite une photographie réussie.

-Mais pourquoi ne pas faire ce travail avec des images en mouvement ? s’obstine Rose.

-C’est un peu simple, tu ne trouves pas ? Le plus difficile, c’est de traquer l’instant parfait. Un seul instant, presque magique, que l’on capture ensuite sur la pellicule. Un centième de seconde plus tard, il s’est envolé et on ne le retrouvera plus.

Daphne chassa de son esprit la mélancolie que ses mots avaient amenée et regarda son auditoire en souriant :

-Je suis plus que  cadreuse. Je suis chasseuse de moments précieux. C’est plus glamour, n’est-ce pas ?

Teddy a eu sa dose de photographies. On lui en a montré beaucoup- « tu vois, là, ce sont tes parents »- avec des étrangers souriant, lui faisant signe, sortant du cadre.

Il déteste ces images menteuses. Elles imitent la vie, sans se soucier de l’originale. Il a du mal à graver dans sa tête les yeux de son père ou le sourire de sa mère, tant ces expressions sont changeantes, perpétuellement mobiles.

C’est dans le Chicaneur qu’il voit des photographies différentes. Sorciers, centaures, géants surpris dans une pose qui n’a pas été préméditée. Ils n’y sont pas toujours à leur avantage, mais en chemin, c’est un peu d’eux qui transparait.

Il songe à quel point il aimerait avoir une image de sa mère, même grimaçante, plutôt que de se contenter des descriptions qu’en fait Tante Ginny. Un morceau d’elle, qu’il pourrait mémoriser, et même rire en le voyant.

-Comme pour capturer leur âme ?

-C’est une jolie image, Lorcan. Pas si ridicule que cela, car certaines créatures la prennent de façon littérale : j’ai passé plusieurs mois à convaincre un strangulot de me laisser prendre un cliché de lui pour cette raison.

Cette déclaration amena à nouveau une bordée de questions, et Daphne se laissa persuader de raconter quelques unes de ses rencontres.

Sa voix est riche et chaude. Il ferme les yeux, et la suit dans ses tentatives d’apprivoiser des créatures farouchement hostiles aux sorciers.

Lui est déjà apprivoisé.

-Combien de temps comptes-tu rester parmi nous ?

Astoria joue les indifférentes, mais Daphne soupire, connaissant d’ores et déjà la suite. Elle rentre en Angleterre deux fois par an, pour Noël et pendant les vacances scolaires. Astoria ne comprend pas pourquoi Daphne ne pose pas définitivement ses valises : à trente sept ans, il serait peut-être temps d’arrêter de courir le monde toute l’année et de songer à fonder un foyer !

Les arguments de sa sœur, Daphne pourrait les réciter par cœur. Elle ne veut pas la blesser, mais se ranger avec un homme de leur monde la tente peu. Pansy, Millicent, Tracey, Sally-Ann : toutes sont aujourd’hui mariées, régnant en despote sur leurs elfes (malgré les efforts de la S.A.LE) et leur manoir. Comme leurs mères et leurs grands-mères l’ont fait avant elles, elles se réunissent chaque mardi de la semaine lors d’un thé, pour commenter les dernières collections de Madame Guipure, critiquer la politique pro-moldue du Ministère, et échanger des potins malveillants sur leurs chères amies absentes.

Astoria, elle aussi, suit les règles. La voir tenir sa place dans ce monde étriqué attriste Daphne. Pourtant, c’est son choix.

Quand elles étaient petites, Astoria tenait une véritable ménagerie : un ver de terre, sauvé du bec de leur hibou ; puis, parce qu’Astoria n’en était pas à une contradiction près, elle avait recueilli un geai à la patte abîmée qui, une fois rétabli, avait gobé le ver ; et c’était sans compter le chat, le croup et bien d’autres bestioles qui avaient suscité sa compassion.

Daphne s’était habituée à cet état de fait.. Mais le coup de la fouine, elle ne l’avait pas prévu.

Sa sœur n’avait pas épousé Draco pour son rang (perdu après la Guerre) ou sa fortune (partiellement confisquée pour les mêmes raisons). Beaucoup de prétendantes s’étaient volatilisées, elles, pour ces raisons. Mais Astoria avait été poussée par la pitié. Malfoy eût-il été pauvre et cracmol, elle ne l’en aurait aimé que davantage.

-A ton âge, il est temps d’arrêter les enfantillages, insiste Astoria.

Sa petite sœur, la vraie, lui manque. Qu’il est loin le temps où des deux, c’était Daphne le roc.

-Astoria ?

Jamais sa petite sœur, du haut de ses treize ans, ne lui a paru aussi fragile. Le cœur de Daphne se serre, mais elles doivent rejoindre le Grand Hall dans cinq minutes.

-Astoria, tu te souviens du jeu auquel on jouait, petites ? Le jeu des trois singes ?

Les yeux d’Astoria montrent clairement sa surprise, mais elle acquiesce.

-Ne pas entendre le mal- Daphne posa ses mains sur les oreilles de sa sœur-, ne pas dire le mal- sur sa bouche-, ne pas voir le mal-sur ses yeux. Et nous essayions d’être les trois à la fois, tu te souviens, Astoria ?

-Daphne, murmure sa sœur.

-Essaie, tu veux ? Pour me faire plaisir ?

Lentement, Astoria hoche la tête.

Dans le Grand Hall où tous les élèves sont réunis, Neville Londubat et Ginny Weasley sont torturés par les Carrow, qui ont décidé de « faire un exemple ».

Une main sur l’épaule d’Astoria, Daphne ne peut qu’espérer que sa petite sœur joue le jeu. Elle-même regarde droit devant elle, énumérant dans son esprit ces lieux qu’elle n’a jamais eu la curiosité de visiter auparavant, ces lieux dont les livres vantent pourtant les merveilles : Paris, Rome, Le Caire…Déserts, villes, fleuves et plaines se succèdent devant ses yeux, et elle se convainc presque qu’elle est partout sauf à Poudlard.

Près d’elle, Theo Nott, son meilleur ami, presse sa main. Plus tard, dans leur dortoir, Daphne essaiera de donner à sa petite sœur un peu de cette force qu’il lui a transmise. Mais elle lira sur le visage d’Astoria la perte définitive de son innocence.

En faisant du shopping dans les rues animées de Diagon Alley, elle croise Anthony Goldstein avec deux enfants (les siens, probablement). Elle rentre chez elle (d’accord, chez Astoria) en avance.

Il s’est fait prendre essayant de délivrer deux élèves enchaînés dans les donjons.

Daphne, impuissante, entend ses hurlements sous les « Crucio » de ses bourreaux. Elle guette un moment d’inattention de leur part, et lorsque celui-ci arrive enfin, tente de concentrer toute la compassion qu’elle ressent dans le regard qu’elle lui jette.

Mais, délibérément, Anthony tourne la tête.

-Tante Daphne, tu m’accompagnes ? Toute la bande serait ravie de te revoir.

-Pas aujourd’hui, Scorpius.

L’année dernière, elle a travaillé avec Anthony sur un projet d’Arithmancie. Ils ont beaucoup parlé (de leurs rêves, de leurs projets), ils se sont embrassés derrière les rayons de la bibliothèque…

-Allez, Tante Daphne…Sois chic !

-J’ai la migraine, Scorpius.

Le jour de la bataille finale est un chaos absolu. Alors qu’elle fuit avec le reste des Serpentards, serrant très fort la main d’Astoria pour ne pas la perdre dans la cohue, Daphne sait qu’elle fuira jusqu’au bout du monde, et qu’elle ne reviendra jamais à Poudlard.

Les mois qui suivent sont confus. Les anciens Serpentards sont traités avec une froideur non dissimulée. Elle a aperçu Anthony à la cérémonie honorant les victimes de la bataille, mais elle n’a pas osé l’aborder. Elle sent qu’elle n’en a pas le droit.

Elle a fini par céder à Scorpius (comme toujours). Toutefois, il lui faut admettre que la compagnie de ces jeunes lui fait du bien. Le seul qu’elle ne comprend pas, c’est Teddy.

Puis elle apprend qu’il est né lors de la Guerre et que ses parents sont morts à Poudlard même, lors de la bataille finale…et ce sentiment obscur de culpabilité revient la hanter.

Un jour, James Sirius Potter s’incruste. Daphne est étonnée par l’autorité tranquille de Teddy qui n’hésite pas à le rappeler à l’ordre lorsque des remarques désobligeantes sont émises sur les Serpentards.

Lucy a retrouvé des vieilles coupures de ses articles, et bientôt chacun y va de son commentaire. Les garçons sont impressionnés par le cliché d’un dragon crachant une langue de feu :

-Ce n’est pas vous qui l’avez prise, tout de même ?

-Qui d’autre ? réplique Daphne.

-Comment avez-vous fait ? Vous étiez drôlement près !

Alors, elle leur explique l’attente patiente, perchée au sommet d’un arbre, quelque part dans une réserve naturelle en Bulgarie. Le scepticisme des éleveurs, l’inconfort, et, pour accélérer le mouvement, agiter un chiffon rouge pour attirer l’attention du dragon.

-Et enfin, il s’est décidé à souffler dans ma direction ! J’ai un peu pris feu, et malgré les sortilèges d’Aquamenti lancés sur moi,  mes cheveux et mes sourcils ont été roussis sur le coup…mais cela en valait la peine, parce que prendre une photo d’un dragon sans qu’il ne lance de flammes, ce n’est plus une photo de dragon, non ?

-C’est de l’inconscience pure ! déclare James.

Mais son ton est loin d’être désapprobateur.

Elle est plutôt cool, pour une vieille !  tel est le compliment ambigu que décerne James à Daphne.

Albus, inquiet, est le seul à remarquer que des mèches roses  sont brièvement apparues dans les cheveux de Teddy.

-Quels sont tes projets ?

Daphne sourit à son vieil ami.

-Je vais rester encore quelques temps. On m’a proposé d’écrire un livre résumant près de deux décennies de voyages…C’est tentant. J’ai du matériau, avec mes carnets remplis d’anecdotes à raconter en marge de mes reportages.

-Déjà l’heure du bilan ? interroge Nott, mi-sérieux-mi-moqueur.

Comme il est différent du garçon triste et pâle qui, au sortir de la guerre, lui a demandé de l’épouser…

-Je ne m’attendais pas à ça, venant de toi, Theo, fait Daphne avec violence. Tu ne m’aimes pas ! Tu veux qu’on répète les erreurs de nos parents : des unions de convenance, des alliances entre nous ? Après ce qu’on vient de vivre, ce à quoi on vient de réchapper,  tu crois que je veux rester en Angleterre et m’enfermer à clé dans ce mausolée que tu appelles ton manoir ?

A bout de souffle, elle arrête sa tirade.

-Un « non » aurait suffi, dit doucement Theodore.

L’homme assis en face d’elle est marié à une ancienne Poufsouffle qui lui a communiqué sa joie de vivre et donné trois beaux enfants.

Daphne est heureuse pour lui, mais il lui semble parfois être une anomalie au sein de sa génération. Elle n’a pas fondé de famille, elle ignore même si elle en veut une.

Le monde tourne autour d’elle, et elle, qui le parcourt sans relâche depuis près de vingt ans, en vient à se demander si elle n’a pas fait du sur-place.

Quand Teddy lui demande si elle peut lui donner quelques conseils pour mieux communiquer avec les créatures auxquelles il a affaire, elle est surprise, mais accepte avec plaisir. En dépit de sa réserve, elle apprécie la curiosité du jeune homme, sa volonté d’apprendre.

Dès la première leçon, elle donne le ton :

-Vous avez lu le Code des usages en vigueur dans notre bonne diplomatie sorcière ?

-Bien sûr.

-Rédigé en 1684, révisé en 1709, et inchangé depuis. Ce pavé est complètement inutile. Il a été rédigé par des sorciers sangs-purs très collets- montés, et ne concerne que leurs usages. Ils n’ont jamais pensé que les gestes qu’ils considéraient être courtois…n’avaient pas la même signification pour d’autres créatures.

-Vous n’exagérez pas un peu ? Ce Code est utilisé depuis des siècles !

-Et les relations des sorciers avec les autres créatures n’ont pas bougé d’un pouce depuis des siècles…Quel exploit, n’est-ce pas ?

Teddy reste pensif un moment. Puis il l’interroge :

-C’est ce que vous avez fait avec Hiérophianus ? Vous lui avez parlé son langage ?

Elle confirme.

-Apprenez-moi, s’il-vous-plaît.

Quand il a annoncé qu’il rejoignait le Département des relations extérieures avec les Créatures magiques, Oncle Harry et Oncle Ron ont fait grise mine- ils espéraient qu’il deviendrait Auror- et Victoire lui a fait comprendre qu’elle ne sortirait pas avec un gratte-papier du Ministère. Seule Tante Hermione et Grand-Mère Andromeda l’ont soutenu.

Il a fait la sourde oreille aux allusions de ses oncles- « un métamorphomage, c’est un atout de poids pour un Auror »-, a remercié sa Tante et sa Grand-Mère, et a quitté Victoire.

En retour, Daphne lui confie le choc de ses relations sangs-pures à la pensée qu’elle travaille avec un appareil photo moldu, les refus de tous les journaux sorciers de publier ses clichés, pour enfin être engagée sur un malentendu par Luna Lovegood -« elle espère encore que des Ronflaks Cornus vont accepter de se manifester sur mes pellicules ».

Teddy compatit, les yeux pétillants :

-Les Ronflaks Cornus sont des créatures très capricieuses.

-Extrêmement, renchérit Daphne, son sérieux de façade menaçant de disparaître à tout moment.

-Elles ne sont jamais apparues en entier ?

-Par morceaux seulement. Newt Scamander affirme avoir aperçu leur trompe un jour qu’il se promenait en Suède, mais depuis, aucune manifestation.

-S’ils doivent se manifester, ce sera à quelqu’un comme vous.

-Quelqu’un comme moi… répète Daphne à voix basse.

Elle a vingt-deux quand elle revoit Anthony. Ce n’est pas un hasard : elle l’attend à la sortie de l’hôpital Sainte-Mangouste, où il travaille désormais.

Autour d’un café, leur conversation est maladroite.

-Que veux-tu, Daphne ?

-Nous donner une seconde chance. Quelle que soit la raison pour laquelle tu m’en veux, de l’eau a coulé sous les ponts, non ?

-C’est si simple, pour toi ? Tu reviens me voir, six ans plus tard, en espérant…en espérant quoi ? Que j’aurais oublié cette année-là ?

-Je ne t’ai rien fait, lâche faiblement Daphne.

-Tu n’as rien fait. C’est bien cela.

-Tu me hais ?

Soudain, Anthony n’a plus l’air en colère, mais fatigué.

-Je ne te hais pas. Tu as essayé de sauver ta peau, je comprends. Mais je ne peux pas aimer quelqu’un comme toi.

-Je ne suis plus la même…

-Tu crois ?

Un jour, sans le vouloir- mais il est très facile de se confier à Teddy-, elle lui parle de Colin, ce garçon qui ne se séparait jamais de son appareil photo. Elle l’a bousculé dans les couloirs (sans le faire exprès), et comme personne n’est dans les parages, elle l’aide à ramasser ses affaires.

C’est alors qu’elle aperçoit des photos inanimées.

-C’est bête, de faire des photos comme ça ! s’exclame-t-elle.

Sans se fâcher, Colin lui rétorque que c’est plus difficile qu’on ne le croit de ne pas rater ces photos-là. Puis, il y a d’autres rencontres fortuites, et Colin, en vrai passionné, lui parle pellicule, objectif et éclairage. Elle se prend à rêvasser, lors des cours : si elle ne devait choisir qu’un instant, lequel figerait-elle pour l’éternité ?

-Qu’est-il devenu ?

-Il est mort. Lors de la bataille finale.

Elle voit l’expression de son visage changer, veut s’excuser. Elle aimerait lui faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un « je suis désolée » de circonstance, qu’une part d’elle a toujours honte d’avoir laissé les autres se battre pour eux tous.

-Ne faites pas ça, coupe-t-il. Mes parents ont fait leur choix. C’étaient des adultes et des Aurors expérimentés.

-Mon oncle Harry me répète toujours qu’il a eu beaucoup de chance…et je le crois. Vous n’étiez que des enfants. Ce n’était pas à vous d’affronter Voldemort.

La sincérité de ses mots lui apporte un réconfort inattendu.

-Je suis heureux que vous n’ayez pas tenté votre chance. Sinon…

-Sinon ?

-Je ne vous aurais peut-être pas connue.

Ce que Daphne déchiffre dans son regard est merveilleux et effrayant à la fois.

Il lui a dit un jour- c’était il y a deux semaines, et que ce jour lui semble loin pourtant- que son père était un loup-garou, mais qu’il n’avait pas hérité  de sa lycanthropie. Il a remarqué qu’il est plus irritable les jours de pleine lune, et c’est tout.

Ce soir, elle lui adresse un petit sourire d’encouragement alors qu’il aborde Hiérophanus à une nouvelle réception donnée en son honneur.

-Je comprends, murmure son voisin.

Elle se redresse de toute sa hauteur :

-Qu’est-ce que tu insinues ?

Nott ne se démonte pas. Il la connaît trop bien :

-Il y a 20 ans…Je n’étais pas le bon Theodore, c’est tout.

Elle rit :

-Teddy n’est encore qu’un enfant. Je cherche un homme.

Quelques jours plus tard, Teddy lui adresse un mot de remerciement- les négociations avec Hiérophanus se déroulent bien, grâce à ses conseils-, mais il est trop occupé pour déjeuner avec elle. L’été touche à sa fin, c’est bientôt la rentrée et elle pourra échapper au regard perspicace d’Albus, à l’inquiétude formulée tout haut par Rose et Lucy.

Ce soir-là, Daphne a pris soin de parler de Teddy avec une tendresse toute maternelle, plus efficace que des dénégations farouches. Teddy a l’ouïe fine, un autre attribut hérité de son père, lui a-t-il confié. Sans le savoir, Theodore lui a fourni l’occasion idéale de décourager un béguin impossible…et Teddy, jeune et sensible, est tombé dans le panneau.

A ce petit jeu-là, Daphne ne pouvait perdre. Elle y jouait, songea-t-elle avec un sourire triste, depuis plus longtemps que lui.

Octobre. Elle a loué une petite maison en Irlande, et chaque jour, son livre avance. Elle répond peu aux hiboux de Scorpius, Astoria et Theodore, prétextant un besoin de solitude vital pour achever l’ouvrage dans les délais.

Seamus et Lavande Finnigan sont ses voisins. Après quelques hésitations, Daphne a accepté leurs invitations. Personne n’évoque le « bon vieux temps », mais la conversation n’est pas si malaisée que cela.

Seamus a adapté une comptine folklorique, pour la taquiner, car elle est frileuse et s’accapare le coin de l’âtre à chacune de leur rencontre :

Daphne, brune Daphne, que vois-tu dans le feu ?

Cette innocente comptine, Daphne la fredonne chaque matin depuis son retour à Londres. Comme s’il s’agissait d’une autre Daphne, la Daphne de ses dix-sept ans, cette Daphne à laquelle elle ne peut pas échapper.

Daphne, brune Daphne, que vois-tu dans le feu ?

Un garçon qui m’aime.

Leur temps est passé. Pourtant, si elle l’avait voulu, cela aurait été si simple, avec Theodore. Une union raisonnable, fondée sur l’amitié et le respect

Un garçon que j’aime…

Elle ne sait plus si elle regrette Anthony. Par principe, elle a toujours regretté les voies impossibles à emprunter. Si les circonstances avaient été autres…si elle avait été plus brave...s’il n’y avait eu Astoria à protéger…

Anthony aussi, c’est un chapitre clos depuis longtemps.

Et le troisième ?

Elle a failli ne pas le reconnaître. Il parlait avec Albus, près du marchand de glaces Florian Fortescue.

Sans ses cheveux bleus électriques. Les traits fatigués.

De le voir ainsi, elle en avait ressenti comme un coup au plexus solaire.

Le troisième ? C’est le garçon qui me fait de la peine.

-Cela ne peut plus durer, Teddy.

Andromeda Tonks le regardait avec sévérité.

-Je ne supporte plus de te voir souffrir à cause de cette femme. Il est temps de l’oublier. Elle pourrait être ta mère !

-Qui t’a parlé d’elle ? riposta Teddy, cheveux passant au rouge.

-Lucy. Et ne la blâme pas. Mon unique petit-fils dépérit sous mes yeux, j’ai le droit d’en connaître les raisons ! Cette Daphne Greengrass…Elle s’est jouée de toi.

-Ne dis pas de mal d’elle. Tu ne la connais pas.

-Teddy…Ce n’est pas sérieux, tout de même ? A ton âge, on ne sait pas encore ce qu’on veut. Tu as toute la vie devant toi pour rencontrer celle qui te conviendra.

-C’est elle que je veux ! Mais elle ne veut pas de moi.

-Elle a plus de bon sens que toi, observa Andromeda, critique. Votre couple n’a aucune chance. La différence d’âge, les remarques que vous vous attirerez…

-Tout ça ne signifierait rien si elle voulait de moi ! répliqua Teddy avec force. Quant à ceux que cela chagrinerait, qu’ils osent me le dire en face !

Il se tut subitement devant l’expression amusée de sa grand-mère.

-Reste comme tu es, Teddy.

-Gran ?

-Tu as le même menton buté que moi lorsque j’ai annoncé à mes parents que j’étais amoureuse de ton grand-père, le même aussi que lorsque ta mère nous a dit qu’elle aimait son loup-garou…

-Tu n’es pas contre ? finit par deviner Teddy, soulagé.

-Contre ? Teddy, je suis à l’origine de cette tradition familiale qui consiste à s’éprendre d’une personne que tout le monde ou presque jugera indésirable. Je serais même fort vexée que tu refuses de la perpétuer.

-Gran…elle ne m’aime pas.

-C’est ce que ton père prétendait, lui aussi. J’ai toujours cru que tu tenais davantage de Nymphadora. Lui as-tu au moins posé la question, les yeux dans les siens ?

Teddy est tenace. Daphne a beau jeu de lui énumérer tout ce qui rend leur couple impossible, il trouve une parade.

-Je suis trop vieille pour toi.

-Avec la longévité  des sorciers, notre écart n’aura plus lieu d’être lorsque tu seras centenaire et que je serai un fringant octogénaire.

Je suis trop vieille pour lui ! Au mieux, je pourrais être sa…

-Sa mère ? propose Astoria.

-J’allais dire sa grande sœur, boude Daphne.

Elle pourrait être sa mère ! C’était donc ça, que les gens allaient dire ?

Daphne se sent obligée d’être raisonnable. Elle n’en a pas l’habitude, et cela lui fend le cœur.

Si elle avait vingt ans de moins, elle tenterait sa chance…

Elle pâlit en réalisant ce qu’elle vient d’admettre.

-Un rendez-vous, c’est tout ce que je te demande. Donne-moi une chance. Que risques-tu ?

-De passer une bonne soirée, réplique Daphne.

Elle finit par céder pourtant.

Le grand jour est arrivé- elle affronte le clan au grand complet. Elle a le soutien d’Andromeda, toutefois Mrs Weasley (qui réservait Teddy à sa petite-fille, Victoire) et d’autres adultes lui sont très hostiles.

Mais Teddy lui prend la main ; au milieu du brouhaha, des protestations, des petites phrases blessantes, elle ne voit que son regard déterminé, le petit sourire d’excuse qu’il lui adresse, pour l’avoir amenée au Terrier.

Le monde autour d’eux poursuit sa course, et Daphne s’en moque. Elle a trouvé l’instant qu’elle cherchait.

-Félicitations, partenaire.

Lucy sourit à son petit-ami. Maintenant que leur tante et leur cousin avaient fait scandale, la voie était toute tracée pour eux.

Une Weasley et un Malfoy ensemble, ça allait faire du bruit. Mais il était toujours plus facile, lorsque l’on rompait un tabou, de passer après les pionniers.

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