Fandon : Rempart
Personnages : Serek Asyarna, Ysaranne Asyarna, Cënryd
Rating : PG
Nombre de mots : 2519 mots
Le soleil frappait les verrières du solarium et réchauffait la pièce où la dame des lieux aimait à se détendre avec ses amies ou ses dames de compagnie. Elles lisaient ou brodaient, jouaient parfois de la musique, s'occupaient à tout un tat d'activités qu'un homme comme lui ne pouvait comprendre. Quand il entra toute se levèrent, d'un geste il leur indiqua de quitter les lieux. Son épouse les regarda partir sans faire de commentaires, elle s'était, comme les autres, levée à son entrée et l'observait maintenant avec une certaine curiosité.
- Y aurait-il un problème mon ami ? demanda-t-elle courtoisement.
Il s'inclina devant elle en regrettant une fois de plus de ne pas avoir était capable de la rendre plus heureuse. Ce mariage leur avait été imposé à une époque où il aimait une autre femme. Une femme qui était tombée enceinte le soir même de ses noces avec Ysarane pour mourir huit mois plus tard en lui laissant un fils dont la présence était pour son épouse un constant rappel de l'humiliation qu'il lui avait fait subir.
- Non, nul problème, du moins je l'espère. Mais nous n'avons reçut aucune nouvelle de l'escorte du jeune Illyontär.
Voila, il l'avait admit, ce silence commençait à l'inquiéter, le printemps était tout juste entamé, le Seigneur Illyontär avait refusé d'entendre raison, tenant à leur envoyer son ainé dés que le col avait été praticable. Il avait ignoré les mises en garde de Serek, affirmant haut et fort qu'il ne s'agissait que de craintes de "bonne femme".
- Vous l'avez prévenu, dit doucement son épouse en posant une main légère sur son bras. Ne vous inquiétez pas tant, mais si cela peut vous rassurer faisons préparer une équipe de recherche.
- Vous avez raison, admit-il.
Il posa sur elle un regard attendri. Elle était restée belle malgré le passage des années, sa taille s'était épaissie au fils des grossesses et de ses trop nombreuses fausses couches mais elle avait conservé la grâce de ses vingt ans et la finesses de ses traits était toujours intacte. Lyrna lui ressemblant tant que s'en était saisissant, mais cette ressemblance n'était que physique, leurs caractères étaient aussi différents que le jour et la nuit. Il lui souhaitait de tout cœur un mariage plus heureux.
- Avez-vous reçut des nouvelles de notre fille ?
Ysarane hocha la tête.
- Oui, les préparatifs semblent aller bon train, le mariage aura lieu, comme prévu, au solstice. Lyrna semble apprécier au plus haut point cette sineara Desryn, ajouta-t-elle avec une expression pincée. Je n'ose présager de ce que cela signifie.
Le seigneur ne pu s'empêcher de sourire.
- Allons, vous avez vous-même approuvé chaleureusement ce mariage.
- Je ne le nie pas, dit-elle calmement. Et j'admets également que, si je déplore certains... aspects, du caractère de notre fille, cette dernière nous a toujours fait honneur et n'a jamais fait peser d'embarras sur sa famille. Il n'y a pas de raisons de supposer qu'il en soit différent de cette jeune personne.
- Vous me voyez ravi de vous entendre dire cela, j'aurais été chagriné de vous voir contrariée.
Elle le regarda un moment en silence avant de sourire. Désormais cette affirmation était vraie, ils le savaient tout deux, et bien des choses avaient changées. Ysarane n'avait jamais reproché à son époux ses écarts de conduite, allant même jusqu'à élever ses bâtardes sans protester, mais cette dignité même ne faisait que renforcer la honte qu'éprouvait Serek pour ses actes passés.
- Est-ce seulement pour m'entretenir des préparatifs du mariage que vous avez renvoyez mes dames de compagnie ? demanda-t-elle d'une voix tranquille.
Serek secoua doucement la tête, soudain embarrassé. Il n'avait jamais su comment aborder son épouse en privé, leurs premières années avaient été si difficile que, malgré la parfaite courtoisie dont elle faisait preuve à son égard, la distance entre eux ne s'était jamais réellement comblée.
- Je souhaitais simplement m'assurer de votre santé, dit-il un peu maladroitement. Nous préparons le mariage prochain de notre fille, il est...
Il s'interrompit et chercha ses mots, les choisissant avec soin. Il n'était pas certain du tout que sa démarche soit bien accueillie, mais il reprit la parole avec détermination, quelque peu surpris de constater que même si les années passaient il lui paraissait toujours plus difficile de s'adresser à son épouse que de mener une armée.
- Je m'inquiète seulement de votre sentiment à l'égard du départ de notre fille, dit-il calmement. Il semble qu'il s'agisse pour une mère d'un moment... difficile.
Elle l'écouta en silence, sans l'interrompre une seule fois, mais une sincère stupeur s'était peinte sur son visage. Ysarane baissa les yeux, visiblement embarrassée par ses paroles. Serek hésita, ne sachant plus ni que dire ni que faire.
- Je suis navré, je ne voulais nullement insinuer que vous...
- Non, ce n'est pas ce que vous croyez, le coupa-t-elle en relevant vivement la tête.
Un instant elle hésita avant d'ébaucher un sourire presque hésitant.
- Vous êtes dans le vrai, simplement...
Il la vit prendre une grande inspiration et réalisa qu'il n'était en fait pas le seul à ne pas toujours savoir comment se comporter ou quels mots choisir.
- J'apprécie sincèrement cette attention de votre part, dit-elle finalement. C'est très délicat de vous en préoccuper... Je m'inquiète en effet de l'avenir de Lyrna. Il est dans l'ordre des choses qu'elle se marie, mais elle me semble si jeune. Elle a pourtant l'âge, mais sans doute sera-t-elle toujours une enfant à mes yeux.
Après un bref instant d'hésitation Serek prit avec douceur son épouse dans ses bras, même au bout de tant d'années ce geste ne lui paraissait pas naturel, Ysarane s'appuya pourtant contre lui avec une sorte de reconnaissance.
- N'êtes-vous jamais la proie de tels doutes ? demanda-t-elle finalement ?
Il eut un pauvre sourire.
- Je le suis jours après jours, admit-il lentement.
Un moment le silence s'installa, dans ses bras son épouse semblait apprécier de se reposer un moment sur lui. Mais ce trop rare moment de compréhension fut brisé par des coups frappés avec insistance à la porte. Ysarane s'écarta légèrement et autorisa d'une voix calme la personne derrière la porte à entrer.
Cënryd entra et s'inclina profondément devant la dame des lieux.
- Sinea, murmura-t-il. Je vous prie de pardonner mon intrusion en ces lieux. J'ai des nouvelles qui ne peuvent attendre.
En voyant son fils Serek s'était figé, un seul regard lui avait suffit pour comprendre.
- Vous êtes toujours le bienvenu en ces lieux, répondait simplement Ysarane d'une voix quelque peu distante.
Elle n'avait jamais aimé Cënryd, s'assurant qu'il prenne conscience, dés sa plus tendre enfance, de son statut de bâtard. Elle s'était néanmoins montrée juste envers lui, sévère, mais jamais tyrannique. Peut-être tout simplement parce que Cënryd lui avait toujours témoigné un sincère respect et ne lui avait jamais reproché de le traiter différemment de ses demi-frères. Serek s'était bien gardé d'intervenir dans cette relation, se contentant d'élever son fils comme il l'entendait, sans jamais demander pour lui la moindre faveur de la part de son épouse.
Pour l'heure il devinait l'épuisement physique et nerveux de Cënryd, il remarquait ses gestes légèrement tremblants et son regard trop brillant, laissant deviner la fièvre qui perdurait sans doute après une violente crise. Ces symptômes, il ne les connaissait que trop bien, après tout il les avait combattu des mois durant, craignant chaque jour de perdre le fils qu'il chérissait au-delà de toute raison. Cënryd s'en était finalement sorti et Serek rendait pour cela grâce aux dieux qu'ils avaient jadis maudit.
- Quelles sont donc ces si urgentes nouvelles ? demanda-t-il avec plus de calme qu'il n'en ressentait.
- La délégation d'Illyontär a essuyé une violente tempête dans le col, commença-t-il calmement.
La voix était neutre, mais Serek connaissait assez son fils pour y discerner l'épuisement qu'il tentait de leur dissimuler. Ysarane se couvrit la bouche pour étouffer une exclamation horrifiée avant qu'il ne puisse terminer sa phrase. Cënryd semblait avoir du mal à se concentrer, mais l'exclamation semblait l'avoir frappée, le poussant à se reprendre.
- Pardonnez-moi Sinea, dit-il avec empressement. Je voue en prie, je crains que la fatigue ne me fasse perdre le sens des priorités, j'aurais du commencer par vous annoncer que le sinere Marek Illyontär est sain est sauf sur la piste. Ils avanceront à marche forcée, il serait bon d'envoyer une patrouille à leur rencontre.
Le soupir de soulagement d'Ysarane se confondit avec celui de Serek. La suggestion de Cënryd était tout à fait juste, il devenait urgent d'envoyer des hommes à leur rencontre pour s'assurer qu'ils ne manqueraient ni de vivres ni de soins au cas où le besoin s'en ferait sentir.
- Prends dix hommes, commença-t-il. Et emmène tout le...
Il s’interrompit en voyant Cënryd secouer doucement la tête d'un air navré.
- Veuillez me pardonner ma faiblesse père, je ne suis pas en mesure de faire ce trajet, dit-il sans parvenir cette fois à dissimuler les tremblements de sa voix.
Ysarane fit un pas vers lui pour l'examiner.
- Asseyez-vous, ordonna-t-elle d'une voix sans appel en lui désignant l'une des confortables banquettes.
Il obéit sans protester, ce qui en disait long sur son état.
- Bien sur que vous n'êtes pas en état d'accompagner une patrouille, vous ne semblez même pas capable de tenir debout plus longtemps. Serek je vous en prie, demandez donc qu'on nous fasse porter une collation et des boissons chaudes.
Serek quitta le solarium le temps de trouver un serviteur auquel il demanda de rapporter un copieux repas ainsi que les boissons chaudes suggérées. Après cela il s'appuya un moment contre le mur pour se donner l'occasion de reprendre son calme. La nouvelle l'avait secoué, mais pas moitié autant que l'état d'épuisement de Cënryd. Avait-il de nouveau du mal à contrôler son don, où les choses avaient-t-elles été différentes de ce qu'il en avait dit ? Et dans ce cas quelles informations avait-il passé sous silence ?
Il prit le temps d'aller donner des ordres pour qu'une patrouille parte immédiatement sur la route sud à marche forcée pour faire aussi rapidement que possible la jonction avec ce qu'il restait des hommes du seigneur Illyontär. Ce ne fut qu'après cela qu'il regagna enfin le solarium, ce fut pourtant bien avant que le serviteur ne rapporte le repas.
Des boissons chaudes avaient néanmoins été apportées et Cënryd tenait la sienne à deux mains, sans doute de crainte d'en renverser et de laissait voir ainsi son état de faiblesse. Il tentait de se tenir droit sur la confortable banquette alors que son seul désir semblait être de s'effondrer et de dormir plusieurs heures. Tout en buvant par petites gorgées il écoutait Ysarane lui détailler le nom et l'usage des plantes qu'elle aimait faire pousser en ces lieux. Serek s'immobilisa sur le seuil de la porte pour les observer un moment en silence. D'aussi loin qu'il s'n souvienne son épouse et son fils avaient entretenus une relation courtoise dépourvu du moindre échange d'ordre personnel. Il leur était pourtant possible de discuter des heures durant pourvu que le sujet soit parfaitement neutre. Serek les soupçonnait de s'apprécier mutuellement pour leurs remarquables intelligences sans toutefois qu'aucun d'entre eux ne soit en mesure de l'admettre. D'autres fois il se demandait s'il ne voyait pas simplement ce qu'il espérait au lieu d'une réalité beaucoup plus terre à terre. Ysarane se tourna enfin vers lui, remarquant sa présence.
- Avez-vous envoyé des hommes ? Demanda-t-elle d'une voix douce.
Il hocha la tête non sans l'observer pensivement. Son épouse avait reçut une éducation des plus stricte dont il pouvait jour après jour constater les fruits. En plus de vingt ans de mariage, jamais il ne l'avait vu se départir de ses bonnes manières et de sa maitrise d'elle-même. Il l'avait vu animé d'une froide fureur, ou en proie au chagrin le plus profond, mais toujours elle avait su se maitriser, lui offrant un soutient inconditionnel, acceptant chacune de ses décisions. Ses pensées de tournèrent vers Lyrna et son caractère entier, il espérait de tout cœur pour elle un avenir et un mariage plus doux que ce qu'avait connu Ysarane.
- Oui, ils devraient rapidement couvrir la distance, répondit-il simplement.
Le soulagement de Cënryd fut évident à cette nouvelle, cela le surprit quelque peu. Il n'avait connaissance d'aucune camaraderie particulière entre ces deux jeunes gens et son fils montrait rarement une telle sollicitude pour les gens qu'il ne comptait pas au nombre de ses rares amis.
- Parfait, dit calmement Ysarane. Dans ce cas je vais m'assurer que tout soit prêt pour leur arrivée. Si vous voulez bien avoir l'indulgence de m'excuser...
- Faites Sinea, répondit Serek en s'inclinant courtoisement.
Cënryd se leva également malgré sa fatigue et elle le salua d'un bref hochement de tête avant de sortir, laissant les deux hommes seuls.
Serek regarda un moment la porte qu'elle avait refermée derrière elle avant de se tourner finalement vers son fils qui luttait pour rester debout malgré son épuisement.
- Assied-toi donc, dit-il en lui tournant le dos pour prendre lui même une tasse de vin chaud épicé. Qu'est ce qu'il s'est passé ?
Seul le silence lui répondit, mais quand il regarda à nouveau son fils ce dernier avait au moins obéit. Cette fois Cënryd ne cherchait plus à maintenir les apparences, lourdement appuyé contre le mur sa tasse vide pendait au bout de son bras et il avait fermé les yeux.
- Rien, menti Cënryd avec une parfaite assurance en rouvrant les yeux pour le fixer.
Dans le regard du jeune homme Serek rencontra une lueur de défi à laquelle il ne s'était pas attendu. Mais qu'y avait-il là d'étonnant après tout ? Il avait toujours refusé de parler des dons de Cënryd, dés lors pourquoi se sentait-il blessé du rejet que lui opposait désormais ce dernier ? Il hocha calmement la tête pour signifier qu'il avait comprit et Cënryd referma les yeux dans un soupir.
Durant de longues minutes Serek se demanda si le moment n'était pas venu pour lui de parler à Cënryd de sa mère, de la femme qu'elle avait été et de ce qui les avaient unis. Autant de choses qu'il lui faudrait parvenir un jour ou l'autre à lui avouer, autant de mots qu'il aurait souhaité réussir à prononcer et qui restaient coincés dans sa gorge. Puis le moment passa, Cënryd rouvrit les yeux et se leva pour poser sa tasse sur la table avec un mouvement sec.
- Si vous me permettez de me retirer...
Il hésita un instant à refuser, arguant qu'il devait manger quelque chose, puis il y renonça et hocha la tête.
- Je t'en prie, dit-il simplement. Mais vient me voir quand tu seras reposer, il y a des choses que je souhaiterais aborder avec toi concernant le mariage de ton frère.
- A votre guise.
Il ne releva pas le ton irrespectueux de son fils, considérant qu'il ne s'agissait de rien de plus que d'une manifestation de sa fatigue. Quand Cënryd quitta la pièce il lui souhaita seulement un calme repos, tentant d'oublier le gout de cendre qu'il lui semblait avoir en bouche face à sa lâcheté.